Un exemple de saint Pape catholique ; à comparer avec les soi-disant ‘saints Papes’ conciliaires !

L'antipape François Ø

L’antipape François Ø

 


 

LE 25 MAI.

Gregorius VII Pontifex CLIX

ANNÉE LITURGIQUE, Temps Pascal, tome III

Dom GUÉRANGER

S. GRÉGOIRE VII, PAPE ET CONFESSEUR.

 

Il n’est aucun Pontife, depuis le temps des Apôtres, qui ait encouru plus de labeurs et de tribulations
pour le service de l’Église de Dieu, et qui ait combattu pour sa liberté avec plus de courage.

 

 
Après avoir salué sur le cycle du Temps Pascal les deux noms illustres de Léon le Grand (440-461) et de Pie V (1566-72), nous nous inclinons aujourd’hui devant celui de Grégoire VII (1073-1085). Ces trois noms résument l’action de la Papauté dans la suite des siècles, après l’âge des persécutions. Le maintien de la doctrine révélée, et la défense de la liberté de l’Église : telle est la mission divinement imposée aux successeurs de Pierre sur le Siège Apostolique. Saint Léon a soutenu avec courage et éloquence la foi antique contre les novateurs ; saint Pie V a fait reculer l’invasion de la prétendue réforme, et arraché la chrétienté au joug de l’islamisme ; placé entre ces deux pontifes dans l’ordre des temps, saint Grégoire VII a sauvé la société du plus grand péril qu’elle eût encore éprouvé, et fait refleurir dans son sein les mœurs chrétiennes par la restauration de la liberté de l’Église.

Pape Grégoire VII

Au moment où finissait le Xe siècle et commençait le XIe, l’Église de Jésus-Christ était en proie à l’une des plus terribles épreuves qu’elle ait rencontrées sur son passage en ce monde. Après le fléau des persécutions, après le fléau des hérésies, était arrivé le fléau de la barbarie. L’impulsion civilisatrice donnée par Charlemagne s’était arrêtée de bonne heure au IXe siècle, et l’élément barbare, plutôt comprimé que dompté, avait forcé ses digues. La foi demeurait encore vive dans les masses ; mais elle ne pouvait à elle seule triompher de la grossièreté des mœurs. Le désordre social provenant de l’anarchie que le système féodal avait déchaînée dans toute l’Europe, enfantait mille violences, et le droit succombait partout sous la force et la licence. Les princes ne rencontraient plus un frein dans la puissance de l’Église ; car Rome elle-même asservie aux factions voyait trop souvent s’asseoir sur la chaire apostolique des hommes indignes ou incapables.

Cependant le XIe siècle avançait dans son cours, et le désordre semblait incurable. Les évêchés étaient devenus la proie de la puissance séculière qui les vendait, et les princes se préoccupaient surtout de rencontrer dans les prélats des vassaux disposés à les soutenir par les armes dans leurs querelles et leurs entreprises violentes. Sous un épiscopat en majeure partie simoniaque, comme l’atteste saint Pierre Damien, les mœurs du clergé du second ordre étaient tombées dans un affaissement lamentable ; et pour comble de malheur, l’ignorance, comme un nuage toujours plus sombre, s’en allait anéantissant de plus en plus la notion même du devoir. C’en était fait de l’Église et de la société, si la promesse du Christ de ne jamais abandonner Son œuvre n’eût été inviolable.

 

Le pape Grégoire VII

Le pape Grégoire VII
(miniature du XIIe siècle)

Pour guérir tant de maux, pour faire pénétrer la lumière dans un tel chaos, il fallait que Rome se relevât de son abaissement, et qu’elle sauvât encore une fois la chrétienté. Elle avait besoin d’un Pontife saint et énergique qui sentît en lui-même cette force divine que les obstacles n’arrêtent jamais ; d’un Pontife dont l’action pût être longue et non passagère, et dont l’impulsion fût assez énergique pour entraîner ses successeurs dans la voie qu’il aurait ouverte. Telle fut la mission de saint Grégoire VII.

 

Le moine Hildebrand, futur Grégoire VII

Le moine Hildebrand, futur Grégoire VII

Cette mission, comme chez tous les hommes de la droite de Dieu, fut préparée dans la sainteté. Grégoire se nommait encore Hildebrand, lorsqu’il alla cacher sa vie dans le cloître de Cluny. Là seulement, et dans les deux mille abbayes confédérées sous la crosse de cet insigne monastère de France, on rencontrait le sentiment de la liberté de l’Église et la pure tradition monastique ; là était préparée depuis plus d’un siècle la régénération des mœurs chrétiennes, sous la succession des quatre grands abbés, Odon, Maïeul, Odilon et Hugues. Mais Dieu gardait encore son secret ; et nul n’eût découvert les auxiliaires de la plus sainte des réformes dans ces monastères qu’un zèle fervent avait attirés d’un bout de l’Europe à l’autre à cette alliance avec Cluny, par ce seul motif que Cluny était le sanctuaire des vertus du cloître. Hildebrand chercha pour sa personne ce pieux asile, au sein duquel il espérait du moins fuir le scandale.

Saint Grégoire VII et Odon, Maïeul, Odilon et Hugues.

Saint Grégoire VII et les éminents prélats de Cluny : Odon, Maïeul, Odilon et Hugues.
Illustration d’un manuscrit du XIIIe.

 

L’illustre saint Hugues ne tarda pas à démêler le mérite du jeune Italien qui fut admis dans la grande abbaye française. Un évêque étranger se rencontra un jour avec le maître et le disciple. C’était Brunon de Toul, désigné par l’empereur Henri III pour être le Pontife de l’Église Romaine. Hildebrand s’émeut à la vue de ce nouveau candidat à la chaire apostolique, de ce pape que l’Église Romaine, qui seule a le droit d’élire son évêque, n’a pas élu, qu’elle ne connaît pas. Il ose dire à Brunon qu’il ne doit pas accepter les clefs du ciel de la main de César, que la conscience l’oblige à se soumettre humblement à l’élection canonique de la ville sainte. Brunon, qui fut saint Léon IX, accepte avec soumission l’avis du jeune moine, et tous deux ayant franchi les Alpes s’acheminent vers Rome. L’élu de César devint l’élu de l’Église Romaine ; mais Hildebrand n’eut plus la liberté de se séparer du nouveau Pontife. Il dut bientôt accepter le titre et les fonctions d’Archidiacre de l’Église Romaine.

Ce poste éminent l’eût élevé promptement sur la chaire apostolique, si Hildebrand eût eu une autre ambition que celle de briser les fers sous lesquels gémissait l’Église, et de préparer la réforme de la chrétienté. Mais cet homme de Dieu préféra user de son influence pour faire asseoir sur le siège de Pierre par la voie canonique et en dehors de la faveur impériale, une suite de Pontifes intègres et disposés à user de leur autorité pour l’extirpation des scandales. Après saint Léon IX, on vit passer successivement Victor II, Étienne IX, Nicolas II, et Alexandre II, tous dignes du suprême honneur. Mais il fallut enfin que celui qui avait été l’âme du pontificat sous cinq papes consentît à ceindre lui-même la tiare. Son grand cœur s’émut au pressentiment des luttes terribles qui l’attendaient ; mais ses résistances, ses tentatives pour se soustraire au lourd fardeau de la sollicitude de toutes les Églises, demeurèrent infructueuses ; et sous le nom de Grégoire VII, le nouveau Vicaire du Christ fut révélé au monde. Il devait remplir toute l’étendue de ce nom qui signifie la Vigilance.

Pape Grégoire VII

La force brute se dressait devant lui incarnée dans un prince audacieux et rusé, souillé de tous les crimes, et, comme un aigle ravisseur, tenant dans ses serres l’Église devenue sa proie. Dans les États de l’empire, nul évêque n’eût été souffert sur son siège, s’il n’eût reçu, par l’anneau et la crosse, l’investiture de César. Tel était Henri de Germanie (1), et à son exemple les autres princes anéantissaient par le même procédé toute liberté dans les élections canoniques. La double plaie de la simonie et de l’incontinence continuait à sévir sur le corps ecclésiastique. Les pieux prédécesseurs de Grégoire avaient fait reculer le mal par de généreux efforts ; mais aucun d’eux ne s’était senti la force de se mesurer corps à corps avec César, dont l’action désastreuse fomentait toutes ces corruptions. Un tel rôle, avec ses périls et ses angoisses, était réservé à Grégoire, et il n’y faillit pas.

Les trois premières années de son pontificat furent cependant assez pacifiques. Grégoire fit des avances paternelles à Henri. Il chercha, dans sa correspondance avec ce jeune prince, à le fortifier contre lui-même, en témoignant des espérances que les faits vinrent trop tôt démentir, en comblant des marques de sa confiance et de sa tendresse le fils d’un empereur qui avait bien mérité de l’Église. Henri crut devoir se contenir quelque temps, en face d’un pape dont il connaissait la droiture ; mais la digue céda enfin sous l’impétuosité du torrent, et l’adversaire du pouvoir spirituel se révéla tout entier. La vente des évêchés et des abbayes recommença au profit de César. Grégoire frappa d’excommunication les simoniaques, et Henri, bravant avec audace les censures de l’Église, persista à maintenir sur leurs sièges des hommes résolus à le suivre dans tous ses excès. Grégoire adressa au prince un solennel avertissement, lui enjoignant de rompre avec ces excommuniés, sous peine de voir arriver sur lui-même les foudres de l’Église. Henri, qui avait jeté le masque, se promettait de ne tenir aucun compte des menaces du Pontife, lorsque tout à coup la révolte de la Saxe, dont plusieurs des électeurs de l’Empire embrassaient la cause, vient l’inquiéter pour sa couronne. Il sent qu’une rupture avec l’Église peut, dans un tel moment, lui devenir fatale. On le voit alors s’adresser en suppliant à Grégoire, solliciter l’absolution, et abjurer sa conduite passée entre les mains de deux légats envoyés en Allemagne par le Pontife. Mais à peine ce monarque félon a-t-il triomphé pour un moment de la révolte saxonne, qu’il recommence la guerre contre l’Église. Il ose dans une assemblée d’évêques, dignes de lui, proclamer la déposition de Grégoire. Bientôt l’Italie le voit arriver à la tête de ses troupes, et sa venue donne à une foule de prélats le signal de la révolte contre un pape disposé à ne pas souffrir l’ignominie de leur vie.

Mathilde de Toscane

Mathilde de Toscane, Mathilde de Canossa ou encore la Grande Comtesse.

C’est alors que Grégoire, dépositaire de ces clefs puissantes qui signifient le pouvoir de lier et de délier au ciel et sur la terre, prononce la terrible sentence qui déclare Henri privé de la couronne et ses sujets dégagés du serment de fidélité à sa personne. Le Pontife ajoute un anathème plus redoutable encore aux princes infidèles : il le déclare exclu de la communion de l’Église. En s’opposant ainsi comme un rempart pour la défense de la société chrétienne menacée de toutes parts, Grégoire attirait sur lui l’effort de toutes les mauvaises passions ; et l’Italie était loin de lui offrir les garanties de fidélité sur lesquelles il eût eu droit de compter. César avait pour lui plus d’un prince dans la Péninsule, et les prélats simoniaques le regardaient comme leur défenseur contre le glaive de Pierre. Il était donc à prévoir que bientôt Grégoire n’aurait plus où mettre le pied dans toute l’Italie ; mais Dieu qui n’abandonne point Son Église avait suscité un vengeur pour sa cause. À ce moment-là, la Toscane et une partie de la Lombardie reconnaissaient pour souveraine la jeune et vaillante comtesse Mathilde. Cette noble femme se leva pour la défense du Vicaire de Dieu ; ses trésors, ses armées, elle les tint à la disposition du Siège Apostolique tant qu’elle vécut ; et ses domaines, elle les légua avant sa mort au Prince des Apôtres et à ses successeurs.

Au fort de ses succès, Henri eut donc à compter avec Mathilde. Cette princesse, qui balançait son influence en Italie, put soustraire à sa fureur le généreux Pontife. Par ses soins, Grégoire arriva sain et sauf à Canossa, forteresse inexpugnable près de Reggio. À ce moment même la fortune de Henri sembla vaciller. La Saxe relevait l’étendard de la révolte, et plus d’un feudataire de l’Empire se liguait avec les rebelles pour anéantir le tyran que l’Église venait de mettre au ban de la chrétienté. Henri eut peur pour la seconde fois, et son âme aussi perfide que lâche ne recula pas devant le parjure. Le pouvoir spirituel entravait ses plans sacrilèges : il osa penser qu’en lui offrant une satisfaction passagère, il pourrait le lendemain relever la tête. On le vit se présenter nu-pieds et sans escorte à Canossa, vêtu en pénitent et sollicitant avec de feintes larmes le pardon de ses crimes. Grégoire eut compassion de son ennemi, pour lequel Hugues de Cluny et Mathilde intercédaient à ses pieds. Il leva l’excommunication, et réintégra Henri au sein de l’Église ; mais il ne jugea pas à propos de révoquer encore la sentence par laquelle il l’avait privé des droits de souverain.

Pénitence de Canossa

Pénitence de Canossa
L’empereur Henri IV assis devant Mathilde de Toscane, en présence de saint Hugues de Cluny (Vita Mathildis)

Le Pontife annonça seulement l’intention de se rendre à la diète qui devait se tenir en Allemagne, de prendre connaissance des griefs que les princes de l’Empire avançaient contre Henri, et de décider alors selon la justice.

Le pape Grégoire VII donnant l'absolution à l'Empereur Henri IV

Le pape Grégoire VII donnant l’absolution à l’Empereur Henri IV

Henri accepta tout, prêta serment sur l’Évangile, et rejoignit son armée. L’espérance renaissait dans son cœur, à mesure qu’il s’éloignait de la redoutable forteresse dans les murs de laquelle il avait dû sacrifier un instant son orgueil à son ambition. Il comptait sur l’appui des mauvaises passions, et son calcul jusqu’à un certain point ne fut pas trompé. Un tel homme devait finir misérablement ; mais Satan était trop intéressé à son succès pour ne pas lui venir en aide.

Cependant un rival s’élevait en Allemagne contre Henri : Rodolphe, duc de Souabe, appelé à la couronne dans une diète des électeurs de l’Empire. Grégoire, Adèle à ses principes de droiture, refusa d’abord de reconnaître cet élu, bien que son attachement à l’Église et ses nobles qualités le rendissent particulièrement recommandable. Le Pontife persistait dans son projet d’entendre dans l’assemblée des princes et des villes de l’Allemagne les griefs reprochés à Henri, de l’écouter lui-même, et de mettre fin aux troubles en prononçant un jugement équitable. Rodolphe insistait auprès du Pontife pour en obtenir la reconnaissance de ses droits ; Grégoire qui l’aimait eut le courage de résister à ses instances, et de remettre l’examen de sa cause à cette diète qu’Henri avait acceptée avec serment à Canossa, mais dont il craignait tant les résultats. Trois années se passèrent durant lesquelles la patience et la modération du Pontife furent constamment mises à l’épreuve par les délais d’Henri, et par son refus d’assurer la sécurité de l’Église. Enfin le Pontife, dans l’impuissance de mettre un terme aux discussions armées qui ensanglantaient l’Allemagne et l’Italie, ayant constaté le mauvais vouloir de Henri et son parjure, lança de nouveau contre lui l’excommunication, et renouvela dans un concile tenu à Rome la sentence par laquelle il l’avait déclaré privé de la couronne. En même temps Grégoire reconnaissait l’élection de Rodolphe et accordait la bénédiction apostolique à ses adhérents.

Nouvelle excommunication d'Henri IV

La colère d’Henri monta au comble, et sa vengeance ne garda plus de mesure. Parmi les prélats italiens les plus dévoués à sa cause, Guibert, archevêque de Ravenne, était le plus ambitieux et le plus compromis à l’égard du Siège Apostolique. Henri fit de ce traître un antipape, sous le nom de Clément III.

Clement III - Antipape

L’antipape Clément III (au centre) avec l’empereur Henri IV, Codex Jenesis Bose q.6, daté de 1157

 

Ce faux pontife ne manqua pas de partisans, et le schisme vint se joindre aux autres calamités qui pesaient déjà sur l’Église. C’était un de ces moments terribles où, selon l’expression de saint Jean, « il est donné à la bête de faire la guerre aux saints et de les vaincre » (Apoc. XI, 7). Tout à coup la victoire se déclare en faveur de César. Rodolphe est tué dans une bataille en Allemagne, et les troupes de Mathilde sont défaites en Italie. Henri n’a plus qu’un vœu, celui d’entrer dans Rome, d’en chasser Grégoire et d’introniser son antipape sur la chaire de saint Pierre.

Au milieu de ce cataclysme effrayant d’où l’Église cependant devait sortir épurée et affranchie, quels étaient les sentiments de notre saint Pontife ? Il les décrit lui-même dans une lettre adressée à saint Hugues de Cluny.

« Telles sont, lui dit-il, les angoisses auxquelles nous sommes en proie, que ceux-là même qui vivent avec nous, non seulement ne les peuvent plus souffrir, mais n’en supportent pas même la vue. Le saint roi David disait : “ En proportion de la douleur immense qui oppressait mon cœur, vos consolations, Seigneur, sont venues réjouir mon âme ” : mais pour nous, bien souvent la vie est un ennui et la mort un vœu ardent. S’il arrive que Jésus, le tendre consolateur, vrai Dieu et vrai homme, daigne me tendre la main, Sa bonté rend la joie à mon cœur affligé ; mais pour peu qu’Il se retire, mon trouble arrive à l’excès. En ce qui est de moi je meurs sans cesse ; en ce qui est de Lui je vis par moments. Si mes forces défaillent tout à fait, je crie vers Lui, je Lui dis d’une voix gémissante :

« Si Vous imposiez un fardeau aussi pesant à Moïse et à Pierre, ils en seraient, ce me semble, accablés. Que peut-il advenir de moi qui ne suis rien en comparaison d’eux ? Vous n’avez donc, Seigneur, qu’une chose à faire : c’est de gouverner Vous-même, avec Votre Pierre, le pontificat qui m’est imposé ; autrement Vous me verrez succomber, et le pontificat sera couvert de confusion en ma personne » (Data Romae, nonis Maii, indictione I, 1078)

Ce cri de détresse qui s’échappe de l’âme du saint Pontife révèle son caractère tout entier. Le zèle pour les mœurs chrétiennes qui ne peuvent se conserver que par la liberté de l’Église, était le mobile de sa vie entière. Un tel zèle avait pu seul lui faire affronter cette situation terrible, dans laquelle il n’avait à recueillir en ce monde que les chagrins les plus cuisants. Et pourtant, Grégoire était ce père de la chrétienté qui, devançant ses successeurs, avait conçu dès les premières années de son pontificat la grande et courageuse pensée d’aller refouler l’islamisme jusqu’en Orient, et de briser par une descente chez le Sarrasin le joug des chrétiens opprimés. Il avait débuté dans ce projet par une lettre adressée à tous les fidèles. Il y montre l’ennemi du nom chrétien déjà sous les murs de Constantinople, et signalant sa férocité par d’horribles carnages.

« Si nous aimons Dieu, dit-il dans cette épître, si nous nous reconnaissons chrétiens, il nous faut gémir sur de tels désastres ; mais gémir ne suffit pas. L’exemple de notre Rédempteur et le devoir de la charité fraternelle nous imposent l’obligation de donner notre vie pour la délivrance de nos frères. Sachez donc que, rempli de confiance dans la miséricorde de Dieu et dans la puissance de son bras, nous faisons tout et nous préparons tout, afin de porter un prompt secours à l’empire chrétien » (Data Romae, calendis martii, indictione 12, 1074).

Peu de temps après, il écrivait à Henri qui n’avait pas encore démasqué ses projets hostiles à l’Église :

« Mon avertissement aux chrétiens d’Italie et d’au-delà des monts a été reçu avec faveur. Déjà plus de cinquante mille hommes se préparent, et s’ils peuvent compter sur moi comme chef de l’expédition et comme Pontife, ils marcheront à main armée contre les ennemis de Dieu, et avec le secours divin, ils iront jusqu’au sépulcre du Seigneur. »

Ainsi le sublime vieillard ne reculait pas devant la pensée de se mettre lui-même à la tête de l’armée chrétienne.

Saint Grégoire VII

« Une chose, dit-il, m’engage à exécuter ce projet : c’est l’état de l’Église de Constantinople qui s’écarte de nous sur le dogme du Saint-Esprit, et qui a besoin de rentrer en accord avec le Siège Apostolique. L’Arménie presque tout entière s’est éloignée de la foi catholique ; en un mot, la grande majorité des Orientaux ressent le besoin de connaître quelle est la foi de Pierre sur les diverses opinions qui ont cours chez eux. Le moment est venu d’user de la grâce que le miséricordieux Rédempteur a conférée à Pierre, en lui faisant ce commandement : J’ai prié pour toi, Pierre, afin que ta foi ne défaille pas ; confirme tes frères. Nos pères, dont notre désir est de suivre les traces, quoique indigne de leur succéder, ont plus d’une fois visité ces contrées pour y confirmer la foi catholique : nous donc aussi, nous nous sentons poussé, si le Christ nous ouvre la voie, à entreprendre cette expédition dans l’intérêt de la foi et pour aller au secours des chrétiens. »

Dans sa loyauté accoutumée, Grégoire était allé jusqu’à compter sur le concours de Henri pour protéger l’Église durant son absence.

« Un tel projet, écrit-il à ce prince, demande un grand conseil et un secours puissant, si Dieu permet qu’il se réalise ; je viens donc te demander ce conseil et aussi ce secours, s’il t’est agréable. Si, par la faveur divine, je pars, après Dieu c’est à toi que je laisserai l’Église Romaine, afin que tu la gardes comme une mère sainte, et que tu protèges son honneur. Fais-moi savoir au plus tôt ce que tu auras décidé dans ta prudence aidée du conseil divin. Si je n’espérais pas de toi plus que d’autres ne croient, je t’aurais écrit ceci bien inutilement ; mais comme il peut se faire que tu ne te laisses pas aller à une entière confiance en l’affection que je te porte, je m’en remets à l’Esprit-Saint qui peut tout. Je Le prie de te faire comprendre à sa manière l’attachement que j’éprouve pour toi, et de gouverner ton esprit, de façon à renverser les désirs des impies et à fortifier l’espérance des bons » (Data Romae, 7 idus decembris, indictione 13, 1074).

Moins de trois ans après avait lieu l’entrevue de Canossa ; mais au moment où Grégoire écrivait cette lettre à Henri, sa confiance dans l’expédition qu’il projetait était assez fondée, pour qu’il en fit part à la comtesse Mathilde.

« L’objet de mes pensées, écrit-il à la chevaleresque princesse, le désir que j’éprouve de passer la mer, pour venir au secours des chrétiens que les païens immolent comme un vil bétail, me cause de l’embarras vis-à-vis de plusieurs ; je crains d’être taxé par eux d’une certaine légèreté. Mais je n’ai aucune peine à te le confier, à toi, ma fille très chère, dont j’estime la prudence plus que tu ne saurais t’en rendre compte. Après avoir lu les lettres que j’envoie au-delà des monts, si tu as un conseil à émettre, ou mieux encore à prêter un secours à la cause de Dieu ton créateur, fais en sorte d’y apporter tous tes soins ; car s’il est beau, comme on le dit, de mourir pour sa patrie, il est plus beau et plus glorieux encore de sacrifier la chair mortelle pour le Christ qui est l’éternelle vie. J’ai la confiance que beaucoup d’hommes de guerre nous viendront en aide dans cette expédition ; j’ai des raisons de penser que notre impératrice (la pieuse Agnès, mère de Henri) a l’intention de partir avec nous ; elle désire t’emmener avec elle. Ta mère (la comtesse Béatrix) demeurera dans ce pays, pour veiller à la défense des intérêts communs ; et toutes choses étant ainsi réglées, avec l’aide du Christ nous pourrions nous mettre en route. En venant ici pour satisfaire sa dévotion, l’impératrice, aidée de ton secours, pourra animer un grand nombre de personnes à cette sainte entreprise. Pour ce qui est de moi, honoré de la compagnie de si nobles sœurs, je passerai volontiers les mers, disposé à donner ma vie pour le Christ avec vous dont je désire n’être pas séparé dans la patrie éternelle. Adresse-moi promptement une réponse sur ce projet et sur ton arrivée à Rome, et daigne le Seigneur tout-puissant te bénir et te faire marcher de vertu en vertu, afin que la Mère universelle puisse se réjouir en toi durant de longues années ! » (16 décembre 1074. JAFFÉ, Monumenta Gregoriana, p.. 532).

La pensée de Grégoire, à laquelle il se livrait avec tant d’enthousiasme, n’était pas uniquement un rêve généreux de sa grande âme ; c’était un pressentiment divin. Sa vie héroïque ne devait pas laisser place à une lointaine expédition ; il allait avoir à combattre un autre ennemi que le Sarrasin ; mais la croisade qu’il saluait avec tant d’ardeur n’était pas loin. Urbain II, son second successeur, comme lui moine de Cluny, devait sous peu d’années ébranler l’Europe chrétienne et la lancer sur l’ennemi commun.

Mais puisque nous avons rencontré le nom de Mathilde, nous profiterons de cette occasion pour pénétrer plus intimement encore dans l’âme de notre grand Pontife. On verra comment cet illustre athlète de la liberté de l’Église savait unir à la hauteur et à la grandeur des vues la touchante sollicitude du plus humble prêtre pour l’avancement spirituel d’une âme.

« Celui-là seul qui pénètre le secret des cœurs, écrit-il à la pieuse princesse, peut connaître, et connaît mieux que moi encore, le zèle et la sollicitude que je porte à ton salut. Je me flatte que tu sais comprendre que je suis tenu à prendre soin de toi, en vue de tant de peuples pour l’intérêt desquels la charité m’a contraint de te retenir, lorsque tu songeais à les abandonner, afin de ne plus songer qu’au bien de ton âme. La charité, ainsi que je te l’ai dit souvent et que je te le dirai encore, d’après celui qui est la trompette du ciel, la charité ne cherche pas ce qui est de son intérêt. Mais comme entre les armes de défense que je t’ai fournies contre le prince du monde, la principale est de recevoir fréquemment le Corps du Seigneur, et de te livrer avec une entière confiance à la protection de sa Mère, dans cette lettre je veux te transcrire ce que le bienheureux Ambroise a pensé au sujet de la communion ».

Le pieux Pontife insère ici deux passages du saint Docteur, qu’il fait suivre d’autres citations empruntées à saint Grégoire le Grand et à saint Jean Chrysostome sur le bienfait de la divine Eucharistie. Il continue ainsi :

« Nous devons donc, ô ma fille, recourir à ce merveilleux sacrement, aspirer à ce puissant remède. Je t’ai écrit cette lettre, ô fille du bienheureux Pierre, pour accroître encore ta foi et ta confiance, lorsque tu reçois le Corps du Seigneur. Tel est le trésor, tel est le bienfait, au-dessus de l’or et des pierres précieuses, que ton âme attend de moi dans son amour pour le Roi des cieux qui est ton père ; bien qu’il te fût possible d’obtenir par tes mérites quelque chose de meilleur en t’adressant à un autre ministre de Dieu. Quant à la Mère du Seigneur, à laquelle je t’ai confiée pour le passé, pour le présent et pour toujours, jusqu’à ce que nous puissions la contempler au ciel selon notre désir, je ne t’en entretiendrai pas aujourd’hui. Que pourrais-je dire qui fût digne de celle que le ciel et la terre ne cessent de combler de louanges, sans pouvoir atteindre à ce qu’elle mérite ? mais tiens ceci pour assuré, qu’autant elle est plus élevée, plus dévouée et plus sainte que toutes les autres mères, autant elle se montre miséricordieuse et tendre envers ceux et celles qui ont péché et qui s’en repentent. Renonce donc à toute inclination au péché, et prosternée devant elle, répands les larmes d’un cœur contrit et humilié. Tu la trouveras alors, je te le promets en toute assurance, plus empressée et plus affectueuse dans sa tendresse pour toi que ne saurait l’être une mère selon la chair » (Datae Romae, 14 calendas martii, 1074).

L’œil du Pontife que tant de sollicitudes ne pouvaient distraire de l’intérêt paternel qu’il portait à l’avancement d’une âme, allait chercher, malgré les distances, à travers la chrétienté, les hommes trop rares alors dont la sainteté et la doctrine devaient faire plus tard l’ornement et la lumière de l’Église. C’est ainsi que Grégoire avait découvert le grand Anselme, alors encore caché au fond de son abbaye du Bec. Du milieu de ses tribulations inouïes (1079), le Pontife adresse à l’Abbé cette lettre touchante :

« La bonne odeur de tes fruits, lui dit-il, s’est fait sentir jusqu’à nous. Nous en rendons à Dieu nos actions de grâces, et nous t’embrassons de cœur dans l’amour du Christ, assuré que nous sommes du succès que l’Église de Dieu retirera de tes études, et de l’aide que, par la miséricorde du Seigneur, lui apporteront, dans ses périls, tes prières jointes à celles qu’offrent au ciel ceux qui te ressemblent. Tu sais, mon frère, la puissance qu’exerce auprès de Dieu la prière du juste ; celle de plusieurs justes a plus de force encore ; il n’y a même pas lieu de douter qu’elle n’obtienne ce qu’elle implore. C’est l’autorité de la Vérité même qui nous oblige de le croire. C’est elle qui a dit : « Frappez, et l’on vous ouvrira ». Frappez avec simplicité, demandez avec simplicité, dans les choses qui lui sont agréables ; alors il vous sera ouvert, alors vous recevrez, et c’est en cette manière que la prière des justes sera exaucée. C’est pourquoi nous voulons que ta Fraternité et celle de tes moines s’adressent à Dieu par des prières assidues, afin qu’il daigne soustraire à l’oppression des hérétiques son Église et nous-même qui lui sommes préposé, quoique indigne, et que dissipant l’erreur qui aveugle nos ennemis, il les ramène au sentier de la vérité » (Anselm. Epist. Lib. II, 31).

Mais l’œil de Grégoire ne s’arrêtait pas seulement sur des princesses comme Mathilde, sur des docteurs comme Anselme. Il savait découvrir jusque dans la mêlée l’humble et courageux blessé qui souffrait pour la cause de l’Église, et l’entourait d’une admiration et d’une tendresse qu’il n’eût pas éprouvée pour ces chefs dont la fidélité est au prix de la gloire. Qu’on lise cette lettre à un pauvre prêtre milanais que les simoniaques avaient mutilé d’une façon barbare.

« Si nous vénérons la mémoire des Saints qui sont morts après que leurs membres ont été tranchés par le fer, écrit-il à cet obscur soldat de l’Église, nommé Liprand, si nous célébrons les souffrances de ceux que ni le glaive, ni les souffrances n’ont pu séparer de la foi du Christ, toi à qui on a coupé le nez et les oreilles pour Son Nom, tu es plus digne de louanges encore d’avoir mérité une grâce qui, si elle est jointe à la persévérance, te donne une entière ressemblance avec les Saints. L’intégrité de ton corps n’existe plus ; mais l’homme intérieur qui se renouvelle de jour en jour, s’est développé en toi avec grandeur. Extérieurement les mutilations déshonorent ton visage ; mais l’image de Dieu, qui est le rayonnement de la justice, est devenue en toi plus gracieuse par ta blessure même, plus attrayante par la difformité qu’on a imprimée à tes traits. L’Église ne dit-elle pas elle-même dans le Cantique : « Je suis noire, ô filles de Jérusalem » ? Si donc ta beauté intérieure n’a pas souffert de ces cruelles mutilations, ton caractère sacerdotal qui est saint, et qu’il faut reconnaître plutôt dans l’intégrité des vertus que dans celle des membres, n’en a pas été atteint davantage. N’a-t-on pas vu l’empereur Constantin baiser respectueusement au visage d’un évêque la cicatrice d’un œil qui avait été arraché pour le nom du Christ ? L’exemple des Pères et les anciennes écritures ne nous apprennent-ils pas qu’on maintenait les martyrs dans l’exercice du ministère sacré, même après la mutilation qu’ils avaient soufferte dans leurs membres ? Toi donc, martyr du Christ, sois plein d’assurance dans le Seigneur. Regarde-toi comme ayant fait un pas de plus dans ton sacerdoce. Il te fut conféré avec l’huile sainte ; aujourd’hui le voilà scellé de ton propre sang. Plus on t’a réduit, plus il te faut prêcher ce qui est bien, et semer cette parole qui produit cent pour un. Nous savons que les ennemis de la sainte Église sont tes ennemis et tes persécuteurs ; ne les crains pas, et ne tremble pas devant eux ; car nous gardons avec amour sous notre tutelle et sous celle du Siège Apostolique ta personne et tout ce qui t’appartient ; et s’il te devient nécessaire de recourir à nous, nous acceptons d’avance ton appel, disposé à te recevoir avec allégresse et grand honneur, lorsque tu viendras vers nous et vers ce saint Siège » (1075, Jaffé, p. 533).

Concile de Clermont

27 novembre 1095 – Urbain II prêche la croisade au Concile de Clermont

Tel était Grégoire, unissant la simplicité du cloître aux plus graves sollicitudes de la papauté. Et quelles sollicitudes, si nous oublions pour un moment l’affreuse crise au milieu de laquelle il disparut ! Nous venons de parler du projet de la croisade, qui plus tard a suffi à lui seul pour immortaliser Urbain II ; mais que d’œuvres diverses, que d’interventions pastorales dans tout le monde chrétien, qui font des douze années de ce pontificat si agité l’une des époques où la papauté, présente partout, semble avoir déployé le plus d’activité et de vigilance ! Dans sa vaste correspondance, Grégoire ne se borne pas à diriger les affaires de l’Église dans l’Empire, en Italie, en France, en Angleterre, en Espagne ; il soutient les jeunes chrétientés du Danemarck, de la Suède, de la Norwège ; la Hongrie, la Bohême, la Pologne, la Servie, la Russie elle-même, reçoivent ses lettres remplies de sollicitude. Malgré la rupture du lien de communion entre Rome et Byzance, le Pontife ne cesse pas ses interventions ; il voudrait arrêter le schisme qui emporte l’Église grecque loin de son orbite. Sur la côte d’Afrique, sa vigilance soutient encore trois évêchés qui ont survécu à l’invasion sarrasine. Dans le but d’unifier la chrétienté latine, il resserre le lien de la prière publique, abolissant en Espagne la liturgie gothique, et faisant reculer au-delà des frontières de la Bohême la liturgie de Byzance qui allait l’envahir. Quelle carrière pour un seul homme ; mais aussi quel martyre était réservé à ce grand cœur ! Il nous faut reprendre le récit, un moment suspendu, des épreuves de notre Pontife. Par lui l’Église et la société devaient être sauvées ; mais comme son Maître divin, « il devait boire « l’eau du torrent pour relever ensuite la tête » (Ps. CIX). Nous l’avons vu humilié dans ses défenseurs, le sort des armes lui étant devenu contraire ; nous l’avons vu menacé par son vainqueur, après l’avoir tenu sous ses pieds ; nous l’avons vu en butte à un antipape dont la cause est soutenue par d’indignes prélats ; mais « ce n’est là encore que le commencement des douleurs » (Matth. XXIV, 8). Henri marche sur la ville sainte en la compagnie du faux vicaire du Christ. Un incendie allumé par sa main sacrilège menace de dévorer le quartier du Vatican ; Grégoire envoie sa bénédiction sur son peuple éperdu, et tout aussitôt la flamme recule et s’éteint. Un moment l’enthousiasme gagne les Romains, si souvent ingrats envers le Pontife qui est à lui seul la vie et la gloire de Rome. Prêt à consommer le sacrilège, Henri hésite et tremble. Il laissera tomber dans la poussière l’ignoble fantôme qu’il a voulu opposer au véritable pape ; il ne demande plus qu’une chose aux Romains : que Grégoire consente à lui donner l’onction sainte, et lui, Henri de Germanie, désormais empereur, se montrera fils dévoué de l’Église. Cette prière est transmise à Grégoire par la cité tout entière :

« Je connais trop la fourberie du roi, répond le noble Pontife. Qu’il satisfasse d’abord à Dieu et à l’Église qu’il a foulée aux pieds : je pourrai alors absoudre son repentir, et placer sur sa tête convertie la couronne impériale ».

Les instances des Romains ne purent obtenir d’autre réponse de l’inflexible gardien du droit de la chrétienté. Henri allait s’éloigner, lorsque tout à coup cette population mobile, gagnée par d’infâmes largesses venues de Byzance (car tous les schismes s’entendent contre la papauté), se détache de celui qui est son roi et son père, et vient déposer les clefs de la ville aux pieds du tyran qui apporte la servitude des âmes. Grégoire se voit alors réduit à chercher un asile dans le fort Saint-Ange, et la liberté de l’Église y est assiégée avec lui. C’est de là, ou peut-être quelques jours avant de s’y enfermer, qu’il écrit, en l’année 1084, cette lettre sublime adressée à tous les fidèles, et qui est comme le testament de sa grande âme :

« Les princes des nations et les princes des prêtres se sont réunis contre le Christ, Fils du Dieu tout-puissant, et contre son apôtre Pierre, pour éteindre la religion chrétienne et propager partout l’hérétique perversité. Mais, par la miséricorde de Dieu, ils n’ont pu, malgré leurs menaces, leurs cruautés et leurs promesses de gloire mondaine, entraîner dans leur impiété ceux qui mettent leur confiance dans le Seigneur. D’iniques conspirateurs ont levé la main contre nous, uniquement parce que nous n’avons pas voulu couvrir du silence le péril de la sainte Église, ni tolérer ceux qui ne rougissent pas de réduire en servitude l’Épouse même de Dieu. En tout pays, la dernière des femmes peut se donner un époux à son gré avec l’appui des lois ; et voici qu’il n’est plus permis à la sainte Église, qui est l’Épouse de Dieu et notre mère, de demeurer unie à son Époux, comme le demande la loi divine et comme elle le veut elle-même. Nous ne devons pas souffrir que les fils de cette Église soient asservis à des hérétiques, à des adultères, à des oppresseurs, comme si ceux-là étaient leurs pères. De là des maux de toute nature, des périls divers, des actes de cruauté inouïe, ainsi que vous pourrez l’apprendre de nos légats.

« Il a été dit au Prophète, comme le sait votre fraternité : « Du sommet de la montagne, fais entendre des cris, et ne cesse pas ». Poussé irrésistiblement, sans aucun respect humain, me mettant au-dessus de tout sentiment terrestre, j’évangélise à mon tour, je crie et je crie encore, et je vous annonce que la religion chrétienne, la vraie foi que le Fils de Dieu venu sur la terre nous a enseignée par nos pères, est menacée de se corrompre par l’envahissement de la puissance séculière, qu’elle tend à s’anéantir, à perdre sa couleur antique, exposée ainsi à la dérision non seulement de Satan, mais des juifs, des sarrasins et des païens. Ces derniers du moins gardent leurs lois qui ne peuvent être utiles au salut des âmes, et qui n’ont point été garanties par des miracles comme la nôtre que le Roi éternel a attestée lui-même : ils les gardent et ils v croient. Nous chrétiens, enivrés de l’amour du siècle et trompés par une vaine ambition, nous faisons céder toute religion et toute honnêteté à la cupidité et à la superbe, nous semblons dépourvus de toute loi et comme insensés, n’ayant plus le souci qu’avaient nos pères du salut et de l’honneur de la vie présente et de la vie future, n’en faisant même pas l’objet de notre espérance. S’il s’en rencontre qui craignent encore Dieu, c’est uniquement de leur salut qu’ils s’occupent, et non de l’intérêt commun. Qui voit-on aujourd’hui se donner de la peine, exposer sa vie dans les fatigues par le motif de la crainte ou de l’amour du Dieu tout-puissant, tandis qu’on voit les soldats de la milice séculière braver tous les dangers pour leurs maîtres, pour leurs amis et même pour leurs sujets ? Des milliers d’hommes savent courir à la mort pour leurs seigneurs ; mais s’agit-il du roi du ciel, de notre Rédempteur, loin de jouer ainsi sa vie, on recule devant l’inimitié de quelques hommes. S’il en est (et il en existe encore, par la miséricorde de Dieu, si peu que ce soit), s’il en est, disons-nous, quelques-uns qui, pour l’amour de la loi chrétienne, osent résister en face aux impies, non seulement ils ne trouvent pas d’appui chez leurs frères, on les taxe d’imprudence et d’indiscrétion, on les traite de fous.« Nous donc qui sommes obligé par notre charge de détruire les vices dans les cœurs de nos frères et d’y implanter les vertus, nous vous prions et vous supplions dans le Seigneur Jésus qui nous a rachetés, de réfléchir en vous-mêmes, afin de bien comprendre pour quel motif nous avons à souffrir tant d’angoisses et de tribulations de la part des ennemis de la religion chrétienne. Du jour où, par la volonté divine, l’Église mère m’a établi, malgré ma grande indignité, et malgré moi, Dieu le sait, sur le trône apostolique, tous mes soins ont été pour que l’Épouse de Dieu, notre dame et mère, remontât à la dignité qui lui appartient, pour qu’elle se maintînt libre, chaste et catholique. Mais une telle conduite devait déplaire souverainement à l’antique ennemi ; c’est pourquoi il a armé contre nous ceux qui sont ses membres, et nous a suscité une opposition universelle. C’est alors que l’on a vu se diriger contre nous et contre le Siège Apostolique plus d’efforts violents qu’il n’en avait été tenté depuis les temps de Constantin le Grand. Mais que l’on ne s’en étonne pas ; il est naturel que plus le temps de l’Antéchrist approche, plus il mette d’acharnement à poursuivre l’anéantissement de la religion chrétienne » (1084. JAFFÉ, p. 572).

 

Robert GuiscardTelle était à ce moment suprême l’indignation douloureuse du grand Pontife, presque seul contre tous, abattu par les revers, mais non vaincu. De la forteresse où il avait abrité la majesté apostolique, il put entendre les impies vociférations du cortège qui conduisait à la basilique vaticane Henri, que son faux pape attendait à la Confession de saint Pierre. C’était le dimanche des Rameaux 1085. Le sacrilège fut consommé. La veille, Guibert avait osé trôner dans la basilique de Latran ; et sous les palmes triomphales portées en l’honneur du Christ dont Grégoire était le vicaire, on vit l’intrus placer sur la tête du César excommunié la couronne de l’Empire chrétien ; mais Dieu préparait un vengeur à son Église. Au moment où le Pontife était serré dé plus près dans la forteresse qui lui servait d’abri, et qu’il semblait avoir tout à craindre de la fureur de son ennemi, Rome retentit tout à coup du bruit de l’arrivée du vaillant chef des Normands, Robert Guiscard. Cet homme de guerre est accouru pour mettre ses armes au service du Pontife assiégé, et pour délivrer Rome du joug des Allemands. Une panique soudaine s’empare du faux César et du faux pape ; l’un et l’autre prennent la fuite, et la cité parjure expie dans les horreurs d’un saccagement effroyable le crime de son odieuse trahison.

Le cœur de Grégoire fut accablé du désastre de son peuple. Impuissant à contenir la rage dévastatrice de ces barbares qui ne surent pas se borner à délivrer le Pontife, mais donnèrent carrière à toutes leurs cupidités au sein de cette ville qu’ils auraient dû châtier et non écraser ; menacé du retour de Henri qui comptait sur le ressentiment des Romains et se préparait à remplacer les Normands, lorsqu’ils auraient assouvi leurs convoitises, Grégoire sortit de Rome avec désolation, et, secouant la poussière de ses pieds, il alla demander asile au Mont-Cassin, et passer quelques heures dans ce sanctuaire du grand patriarche des moines. Le contraste des jours tranquilles de sa jeunesse abritée sous le cloître, avec les orages dont sa carrière apostolique n’avait cessé d’être agitée, dut se présenter à sa pensée. Errant, fugitif, abandonné, sauf d’une élite d’âmes fidèles et dévouées, il poursuivait sa douloureuse passion ; mais son calvaire n’était pas éloigné, et le Seigneur ne devait pas tarder à le recevoir dans le repos de ses saints. Avant qu’il descendît de la sainte montagne, un fait merveilleux arrivé déjà plusieurs fois se manifesta de nouveau. Grégoire étant à l’autel et célébrant le saint Sacrifice, une blanche colombe parut tout à coup posée sur son épaule, et parlant à son oreille. Il ne fut pas difficile de reconnaître à ce symbole expressif l’action de l’Esprit-Saint qui dirigeait et gouvernait les pensées et les actes du saint Pontife.

Gregory VII disant la Messe

 

On était dans les premiers mois de l’année 1085. Grégoire se rendit à Salerne, dernière station de sa vie si agitée. Ses forces l’abandonnaient de plus en plus. Il voulut cependant faire la dédicace de l’Église du saint évangéliste Matthieu dont le corps reposait dans cette ville, et d’une voix défaillante il adressa encore la parole au peuple. Ayant pris ensuite le Corps et le Sang du Sauveur, fortifié par ce puissant viatique, il reprit le chemin de sa demeure, et s’étendit sur la couche d’où il ne devait plus se relever. Image saisissante du Fils de Dieu sur la croix, comme lui dépouillé de tout et abandonné de la plupart des siens, ses dernières pensées furent pour la sainte Église qu’il laissait dans le veuvage. Il indiqua aux quelques cardinaux et évêques qui l’entouraient, les noms de ceux entre les mains desquels il verrait avec contentement passer sa laborieuse succession : Didier, Abbé du Mont-Cassin, qui fut après lui Victor III ; Othon de Châtillon, moine de Cluny, qui fut après Victor Urbain II ; et le fidèle légat Hugues de Die, que Grégoire avait fait archevêque de Lyon.

On interrogea le Pontife agonisant sur ses intentions relativement aux nombreux coupables qu’il avait dû frapper du glaive de l’excommunication. Là encore, comme le Christ sur la croix, il exerça miséricorde et justice :

« Sauf, dit-il, le roi Henri, et Guibert, l’usurpateur du Siège Apostolique, ainsi que ceux qui favorisent leur injustice et leur impiété, j’absous et bénis tous ceux qui ont foi en mon pouvoir comme étant celui des saints apôtres Pierre et Paul ».

Le souvenir de la pieuse et invincible Mathilde s’étant présenté à sa pensée, il confia cette fille dévouée de l’Église Romaine aux soins du courageux Anselme de Lucques, rappelant ainsi, comme le remarque le biographe de ce saint évêque, le don que Jésus expirant fit de Marie à Jean Son disciple de prédilection. Trente années de luttes et de victoires furent pour l’héroïque comtesse le prix de cette bénédiction suprême.

La fin était imminente ; mais la sollicitude du père de la chrétienté survivait encore en Grégoire. Il appela l’un après l’autre ces hommes généreux qui entouraient sa couche, et leur fit prêter serment entre ses mains glacées de ne jamais reconnaître les droits du tyran, tant qu’il n’aurait pas donné satisfaction à l’Église. Il résuma sa dernière énergie dans une défense solennelle intimée à tous de reconnaître pour Pape celui qui n’aurait pas été élu canoniquement et selon les règles des saints Pères. Se recueillant ensuite en lui-même, et acceptant la divine volonté sur sa vie de pontife qui n’avait été qu’un sacrifice continuel, il dit :

« J’ai aimé la justice et j’ai haï l’iniquité ; c’est pour cela que je meurs en exil ».

Un des évêques qui l’entouraient répondit avec respect : « Vous ne pouvez, seigneur, mourir en exil, vous qui, tenant la place du Christ et des saints Apôtres, avez reçu les nations en héritage, et en possession l’étendue de la terre ». Parole sublime que déjà Grégoire ne pouvait plus entendre ; car son âme s’était élancée au ciel, et recevait dès ce moment l’immortelle couronne des martyrs.

Mort de saint Grégoire VII en exil à Salerne.

Mort de saint Grégoire VII en exil à Salerne.
Illustration d’un manuscrit du XIIIe.

 

Grégoire était donc vaincu, comme le Christ lui-même fut vaincu par la mort ; mais le triomphe sur cette mort ne manqua pas plus au disciple qu’il n’avait manqué au Maître. La chrétienté abaissée en tant de manières se releva dans toute sa dignité ; et l’on peut même dire qu’un gage de cette résurrection fut donné par le ciel le jour même où Grégoire rendait à Salerne son dernier soupir. Ce même jour, vingt-cinq mai 1085, Alphonse VI entrait victorieux à Tolède, et arborait la croix dans la cité reconquise des Eugène et des Julien, après quatre siècles d’esclavage sous le joug sarrasin.

Mais il fallait à l’Église opprimée un continuateur de Grégoire, et le Dieu dont il fut le vicaire ne le lui refusa pas. Le martyre du grand Pontife fut comme une semence de Pontifes dignes de lui. De même qu’il avait préparé ses prédécesseurs, on peut dire que ses successeurs procédèrent de lui ; et les fastes de la papauté ne présentent nulle part dans toute leur teneur une suite de noms plus glorieuse que celle qui s’étend de Victor III, successeur immédiat de Grégoire, à Boniface VIII, en qui recommença pour de longs siècles le martyre que notre grand héros avait subi. Son âme était à peine affranchie des épreuves de cette vallée de larmes, et déjà la victoire se déclarait. Les ennemis de l’Église étaient abattus, la suppression des investitures éteignait la simonie et assurait l’élection canonique des Pasteurs ; la loi sacrée de la continence des clercs reprenait partout son empire.

Grégoire avait été l’instrument de Dieu pour la réforme de la société chrétienne ; et si son nom est demeuré béni des vrais enfants de l’Église, sa mission avait été trop belle et trop courageusement remplie pour qu’elle n’attirât pas sur lui la haine de l’enfer. Or, voici ce que le Prince de ce monde (Jean, XII, 31) imagina contre lui dans sa rage. Non content d’avoir fait de Grégoire un objet d’exécration pour les hérétiques, il vint à bout de le rendre odieux aux faux catholiques, embarrassant pour les demi-chrétiens. Longtemps ces derniers, malgré le jugement de l’Église qui l’a placé sur ses autels, affectèrent de l’appeler insolemment Grégoire VII. Son culte fut proscrit par des gouvernements qui se disaient encore catholiques ; il fut prohibé par des mandements épiscopaux. Son pontificat et ses actes furent attaqués comme contraires à la religion chrétienne par le plus éloquent de nos orateurs sacrés. Il fut un temps où les lignes que nous consacrons à ce saint Pape, dans un livre destiné à nourrir chez les fidèles l’amour et l’admiration pour les héros de la sainteté que l’Église offre à leur culte, eût attiré sur nous la vindicte des lois. Les Leçons de l’Office d’aujourd’hui furent supprimées par le Parlement de Paris en 1729, avec défense de s’en servir, sous peine de saisie du temporel.

Ces barrières sont tombées, ces scandales ont cessé. Par suite du rétablissement de la Liturgie romaine en France, chaque année le nom de saint Grégoire VII est proclamé dans nos Églises, la louange qui honore les saints lui est publiquement décernée, et le divin Sacrifice est offert à Dieu pour la gloire d’un si illustre Pontife.

Il était temps pour notre honneur français qu’une telle justice fût rendue à qui la mérite. Lorsque depuis plus de soixante ans on entendait les historiens et les publicistes protestants de l’Allemagne combler d’éloges celui qui n’est pourtant à leurs veux qu’un grand homme, mais en qui ils reconnaissent l’héroïque vengeur des droits de la société humaine ; lorsque les gouvernements réduits aux abois par l’envahissement toujours plus impérieux du principe démocratique, n’ont plus le loisir de céder à leurs anciennes jalousies contre l’Église ; lorsque l’Épiscopat se serre toujours plus étroitement autour de la Chaire de saint Pierre, centre de vie, de lumière et de force : rien n’est plus naturel que de voir le nom immortel de saint Grégoire VII resplendir d’une gloire nouvelle, après l’éclipse qui l’avait si longtemps dérobé aux regards d’un trop grand nombre de fidèles. Qu’il demeure donc, ce glorieux nom, jusqu’à la fin des siècles, comme l’un des astres les plus brillants du Cycle pascal, et qu’il verse sur l’Église de nos jours l’influence salutaire qu’il répandit sur celle du moyen âge !

Pape saint Grégoire VII

 

Nous lirons maintenant les pages que la sainte Église a consacrées à la mémoire du saint Pontife, et nous les lirons avec d’autant plus de respect qu’elles ont été plus outragées par ceux « qui ne savaient ce qu’ils faisaient » (Luc, XXIII, 31) :

Grégoire VII, nommé auparavant Hildebrand, né à Soana en Toscane, illustre au plus haut degré par la science, la sainteté et toutes les vertus, glorifia d’une manière merveilleuse l’Église de Dieu tout entière. Étant encore dans la première enfance, et jouant aux pieds d’un ouvrier qui travaillait le bois, ignorant encore les lettres, on rapporte qu’il forma comme par hasard avec les copeaux cette parole prophétique de David : « Il dominera d’une mer à l’autre » ; mais Dieu conduisait la main de l’enfant, et voulait montrer par là qu’un jour il devait exercer dans le monde le plus grand des pouvoirs. S’étant rendu à Rome, il y fut élevé sous la protection de saint Pierre. Étant encore dans les années de sa jeunesse, il conçut une si grande douleur en voyant l’oppression qui étouffait la liberté de L’Église et la dépravation des mœurs du clergé, qu’il se retira à l’abbaye de Cluny, où l’observance et l’austérité de la vie monastique étaient alors en pleine vigueur sous la règle de saint Benoît. Il y prit l’habit de moine et se livra au service de la divine Majesté avec tant de piété et d’ardeur, qu’il fut élu Prieur par les saints religieux de ce monastère. Mais la divine Providence l’ayant destiné à un plus haut emploi pour le salut d’un grand nombre, Hildebrand fut tiré de Cluny, pour être d’abord Abbé du monastère de Saint-Paul, hors les murs de Rome ; il fut ensuite créé Cardinal de l’Église Romaine. Chargé des emplois et des missions les plus importantes, sous les papes Léon IX, Victor II, Étienne IX, Nicolas II et Alexandre II, il mérita d’être appelé l’homme de conseil très saint et très pur par saint Pierre Damien. Envoyé en France par Victor II, en qualité de légat a latere, il força par un miracle l’archevêque de Lyon, qui était souillé de la simonie, à confesser son crime, et contraignit Bérenger à abjurer de nouveau son erreur dans un concile tenu à Tours. Il parvint aussi par son énergie à comprimer le schisme de Cadaloüs.À la mort d’Alexandre II, malgré ses répugnances et ses regrets, il fut élu souverain Pontife d’un consentement unanime, le dix des calendes de mai, l’an de Jésus-Christ 1073, et brilla tout aussitôt comme un soleil dans la maison de Dieu. Puissant en œuvres et en paroles, on le vit s’appliquer avec un si grand zèle au renouvellement de la discipline ecclésiastique, à la propagation de la foi, au rétablissement de la liberté de l’Église, à l’extirpation des erreurs et des scandales, que l’on peut puisse dire qu’il n’est aucun Pontife, depuis le temps des Apôtres, qui ait encouru plus de labeurs et de tribulations pour le service de l’Église de Dieu, et qui ait combattu pour sa liberté avec plus de courage. Des provinces entières furent arrachées par lui au fléau de la simonie. Comme un athlète intrépide il s’opposa sans trembler aux fureurs impies de l’empereur Henri, et ne craignit pas de s’opposer comme un mur pour la défense de la maison d’Israël ; et lorsque ce même Henri fut tombé jusqu’aux derniers excès du mal, il le priva de la communion des fidèles ainsi que de l’empire, et délia du serment de fidélité les peuples qui lui étaient soumis.

Pendant qu’il célébrait la Messe, des hommes pieux aperçurent une colombe, qui, descendant du ciel, venait se reposer sur son épaule et lui voilait la tête de ses ailes : ce qui signifiait que Grégoire était conduit dans le gouvernement de l’Église par le souffle de l’Esprit-Saint, et non par les raisons de la prudence humaine. La ville de Rome se trouvant assiégée par l’armée du méchant roi Henri, Grégoire éteignit par le signe de la croix un incendie que les ennemis avaient allumé Enfin, arraché de leurs mains par Robert Guiscard, chef Normand, il se rendit au Mont-Cassin, et de là à Salerne pour y faire la dédicace de l’Église de l’apôtre saint Matthieu. Après avoir adressé un sermon au peuple de cette ville, se sentant épuisé de traverses, il tomba malade et pressentit sa fin prochaine. « J’ai aimé la justice et j’ai haï l’iniquité ; c’est pour cela que je meurs en exil ». Telles furent les dernières paroles de Grégoire mourant. Les épreuves qu’il supporta avec tant de courage furent innombrables, et les décrets qu’il porta dans les nombreux conciles qu’il rassembla sont remplis de sagesse ; homme véritablement saint, vengeur du crime et ardent défenseur de l’Église. Après douze ans de pontificat, il partit pour le ciel l’an du salut 1085. Il fut célèbre par ses miracles durant sa vie et après sa mort, et son saint corps repose avec honneur dans l’église cathédrale de Salerne.

 

Tombeau du pape Saint Grégoire VII à Salerne

Dictatus papae

Le célèbre Dictatus papae, que saint Grégoire VII rédigea pour combattre le césaro-papisme et pour réaffirmer les droits de l’Église de Notre Seigneur Jésus-Christ, qui la place au-dessus, quoique distinctement, des pouvoirs temporels. Deux siècles plus tard, le pape Boniface VIII aura le même combat à mener contre Philippe Le Bel.

Le célèbre Dictatus papae, du saint Grégoire VII.

Archives du Vatican. XIe.

 

 

 

 

 


[1] Henri IV du Saint-Empire : Henri IV (né le 11 novembre 1050 vraisemblablement au palais de Goslar en Saxe, et mort à Liège le 7 août 1106) fut empereur élu du Saint-Empire de 1084 à 1105.

Henri IV est le troisième empereur de la dynastie franconienne issue des Francs saliens. C’est l’un des souverains les plus controversés du Moyen Âge. Son opposition au pape Grégoire VII et la pénitence de Canossa constituent les temps forts de la Querelle des investitures. (Wikipedia)