Le supérieur général
Mgr Fellay et son mode de gouvernement
Suisse, Bernard Fellay est né à Sierre (Valais) en 1958 et a grandi près de là, à Riddes, où son père dirigeait la centrale électrique qui jouxte le séminaire d’Écône. Toutefois, son lieu d’origine officiel (« bourgeoisie » en termes suisses) est Bagnes, également en Valais. Étant donné l’importance de l’identité cantonale pour les Suisses, cette appartenance valaisanne est cruciale, comme on pourra le voir dans les lignes qui suivent.
Sportif, pragmatique plus que spéculatif, le jeune Bernard Fellay entre tout naturellement au séminaire d’Écône, à l’ombre duquel il a grandi. En 1987, Mgr Lefebvre avait pressent trois de ses prêtres pour recevoir l’épiscopat et un bruit insistant et plausible veut que l’abbé Fellay ait été le quatrième nom, ajouté entre février et mai 1988. Selon ces mêmes informations crédibles, ce sont des figures importantes du « tradiland » de la région d’Écône qui auraient insisté auprès de Mgr Lefebvre pour ajouter à la liste un épiscopable issu du Bas Valais. Toujours est-il que, le 30 juin 1988, Bernard Fellay reçoit l’ordination épiscopale avec ses trois confrères. Il était alors économe général de la FSSPX et, en 1994, il en devint supérieur général, pour être réélu pour 12 ans supplémentaires en 2006.
Au paradis fiscal
Mgr Fellay réside à la « maison générale » de la FSSPX, située à Menzingen, dans le canton de Zoug. Pour un Valaisan, c’est presque à l’étranger mais ce choix n’est pas dû au hasard : surnommé « la Suisse de la Suisse », le Zoug évoque pour tout Helvète un paradis fiscal au sein de la confédération. Il s’agit d’un choix stratégique pour Bernard Fellay, qui a été économe général de la FSSPX dès son ordination sacerdotale (1982). En 1993, il parvient à convaincre l’abbé Franz Schmidberger, alors supérieur général, de transplanter la maison générale dans ce canton, pour des raisons essentiellement fiscales.
Le leadership fellaysien
Une vidéo postée sur le site officiel de la Fraternité Saint-Pie X présente cette « maison générale ». Mgr Fellay, concret, y évoque les tâches qui l’occupent : « Il y a de tout : orientations, relations avec Rome, respect des statuts et puis il y a des questions comme par exemple [sic] décider de l’achat d’une maison, la construction, la rénovation d’un autre bâtiment, ou les problèmes humains : un prêtre qui tombe malade il faut le remplacer, il y a des nominations à faire… ». Et une voix hors champ précise : « C’est également à Menzingen que sont centralisés les services financiers et juridiques de la Fraternité St.-Pie X ». De même, la page web consacrée à la maison générale précise que « l’Économe général veille à la situation légale [juridique] ainsi qu’à la bonne gestion des biens de la Fraternité Saint-Pie X à travers le monde » et insiste encore : c’est à Menzingen que s’effectue « la gestion (…) des biens de la Fraternité ». On l’aura compris, le supérieur général veille soigneusement aux intérêts matériels de son œuvre.
Bernard Fellay doit traiter des questions immobilières et diriger les services financiers et juridiques. Il s’est d’ailleurs acquis la réputation d’un homme qui veut tout contrôler. Faut-il alors s’étonner qu’il s’entoure de juristes ?
Sur les six prêtres qui résident à Menzingen, deux sont juristes et non des moindres : le secrétaire général (Christian Thouvenot) et le secrétaire particulier de Fellay (Raphaël Granges). Ce dernier a même exercé dans un cabinet d’avocats avant d’entrer au séminaire. Il est même curieux qu’il soit devenu secrétaire particulier du supérieur général après seulement 4 ans de prêtrise.
Centralisateur et autoritaire, Son Excellence est pourtant par certains aspects un chef médiocre. Ses lenteurs, hésitations, balancements et atermoiements ont fait piquer plus d’une colère au cardinal Castrillón Hoyos pendant la période de rapprochement informel 2000-2009. Le « summum » a été atteint à l’occasion de la levée des excommunications (janvier 2009). Le cardinal avait fait savoir à Mgr Fellay qu’il se faisait fort d’obtenir cette levée, à condition de recevoir de sa part une lettre de demande en ce sens, et il avait précisé la date de la réunion des chefs de dicastères avant laquelle il devrait recevoir cette missive. En dépit de ce délai clairement fixé, Mgr Fellay a tergiversé pendant des semaines parce qu’il rechignait à apparaître en positon de demandeur vis-à-vis de Rome. Ce n’est que sur les instances de ses conseillers directs qu’il a finalement envoyé ladite lettre en toute urgence le jour même, par porteur spécial. Elle est parvenue au cardinal Castrillón à peine une heure avant le début de la réunion… C’est que, mis sous pression dans certains domaines, Mgr Fellay est capable de réagir de manière imprévisible. Pour les affaires qui lui brûlent les mains, il se trouve soudain un voyage urgent à effectuer à l’étranger. Il plante alors là ses deux assistants généraux et son secrétaire général, non sans leur lancer : « Occupez-vous de ce dossier et réglez-le avant mon retour ». Fait important pour le présent Livre Noir : ce type de comportement est récurrent chez Mgr Fellay dans les affaires d’abus, psychologiques ou sexuels. On peut se demander par quel prodige un chef aussi énergique perd ses ressources face à ce genre de situations. Par ailleurs, quand un dirigeant est incapable d’assumer ses responsabilités dans certains domaines, est-il bien à sa place comme chef ?
Un conseiller très spécial
Dans les affaires matérielles, cependant, Son Excellence ne connaît guère les balancements interminables. Et quand on combine la gestion d’actifs et le droit, qu’est-ce que cela donne ? Cela donne Maître Maximilian Krah, un juriste allemand qui mérite plus qu’une brève menton. Né en 1977, Me Krah est un brillant avocat d’affaires de Dresde et un homme aux relatons insolites. Nous le verrons ci-dessous, Me Krah détient un pouvoir non négligeable sur les finances de la FSSPX.
Finance internationale, paradis fiscaux et « fondations privées »
Mais quel est au juste le rôle de Me Krah dans la FSSPX ? En janvier 2009, il a contribué à la création d’une société par actons Dello Sarto A.G., basée dans le paradis fiscal du Zoug (n° de registre de commerce : CH-170.3.033.031-9) (1). Cette société a été conçue essentiellement pour transférer d’Autriche vers la Suisse une importante somme d’argent provenant d’un legs. La réception des donations, legs et héritages est en effet une activité importante de la FSSPX. En l’occurrence, l’héritage était celui de Rosa von Gutmann, veuve d’un richissime homme d’affaires autrichien, et représentait, semble-t-il, quelque 123 millions de dollars. Le legs, établi le 13 novembre 1996, était destiné au district d’Autriche de la Fraternité, les sommes étant basées dans une fondation au Liechtenstein.
Quand Mme von Gutmann décède, c’est donc le district autrichien FSSPX qui doit recevoir les fonds. Mais Mgr Bernard Fellay ne l’entend pas de cette oreille et décide que c’est à lui de récupérer cette somme. Il démet alors de ses fonctions le supérieur du district d’Autriche, qui a osé lui résister. (2)
Malgré tout ce n’est pas suffisant : il a besoin de conseils spécialisés à cause d’un imbroglio juridique qui s’éternise. Finalement, Me Krah crée en Autriche en janvier 2009 une fondation destinée à recevoir les fonds, la Jaidhofer Privatstfung St. Josef und Marcellus (n° d’inscription au registre des sociétés : FN 321626f) (3). Il y figure parmi les trois administrateurs, un des deux autres étant le secrétaire particulier d’alors de Mgr Fellay, l’abbé Vonlanthen, puisque l’objectif ultime était d’amener ces fonds dans le Zoug. Maximilian Krah dispose d’un pouvoir de signature aussi bien dans la fondation autrichienne Jaidhof que dans la société suisse Dello Sarto. On voit donc le rôle crucial joué par Me Krah dans la FSSPX. C’est même encore plus surprenant quand on songe qu’il est laïc, et que la FSSPX est une fraternité sacerdotale, où tout est (censé) axé sur le sacerdoce et les clercs. Il semblerait que, pour remercier Me Krah de ses loyaux services, ce soit la Fraternité qui se soit présentée comme son employeur pour l’inscrire au master d’affaires EMBA-global, très côté mais dont les frais d’inscription sont astronomiques. En août 2015 est publiée la liquidation de la société Dello Sarto, dont le président du conseil d’administration était Krah, les membres étant Krah lui- même, ainsi que Fellay, Niklaus Pfuger (1er assistant général de Mgr Fellay) et Emeric Baudot, alors économe général de la FSSPX.
La finance et le droit comme instruments de pouvoir ?
Habitué de la haute finance, Bernard Fellay ne s’est pas limité à cette opération austro-helvétique ; il multiplie les sociétés et fondations et consacre une part importante de ses énergies à la gestion de la fortune de sa Fraternité. Il n’y a pas à notre connaissance d’enrichissement personnel mais Mgr Fellay semble bien utiliser l’argent et le droit comme instruments de pouvoir, ce qui est particulièrement alarmant dans une fraternité qui recèle des abus en son sein.
Combiné à une quasi obsession de la sécurité juridique, cet intérêt de Mgr Fellay pour l’argent-pouvoir vise à lui permettre d’écarter toute personne tentée de lui faire de l’ombre. Ainsi en 2011, Me Krah, agissant pour le compte de Mgr Fellay, menace de procès un administrateur du blog Ignis Ardens, qui critiquait les liens entre lui et la FSSPX. En fin de compte, l’administrateur est acculé à la démission. C’est bien pratique pour faire taire les voix dissidentes…
La même année, Me Krah assiste Mgr Fellay et son prédécesseur l’abbé Franz Schmidberger dans une plainte pénale contre un curé belge retraité, l’abbé Paul Schoonbroodt, pour « diffamation » (avoir publié des articles au sujet des liens entre l’avocat dresdois et Mgr Fellay), pour « incitation à la haine raciale » (?) et pour vol de propriété intellectuelle. L’abbé Schoonbroodt avait en effet reproduit de nombreuses homélies de Mgr Lefebvre, ce que Mgr Fellay avait considéré comme un « vol [d’un] contenu dont nous [la FSSPX] sommes propriétaires ». Cela alors qu’il s’agissait d’homélies publiques de Mgr Lefebvre ! Bref, l’argent n’a pas d’odeur, et la F$$PX conçoit manifestement le patrimoine de Mgr Lefebvre au sens non seulement spirituel mais aussi très concrètement matériel. Autre exemple encore : à une victime de pédophilie au sein de la FSSPX qui souligne la responsabilité civile de cette dernière, Mgr Fellay répond platement qu’il y a prescription… Voilà quelques exemples de la manière dont Bernard Fellay utilise de façon combinée argent et droit pour museler les voix qui dérangent ou qui cherchent à dénoncer les abus existant dans sa Fraternité.
Poursuivons le tour des sociétés et fondations dont Fellay est parte prenante, et mentionnons en particulier la SARL STPI, « Société Tradition et Patrimoine Immobilier », basée à Lausanne (n° de registre de commerce suisse : CH-550.1.031.472-9) (4).
Le nom en dit long, et on peut se demander si le rôle d’un évêque est bien de pratiquer la spéculation immobilière, surtout dans une région déjà parmi les plus chères du monde : l’arc lémanique. À moins que les biens immobiliers ne soient que des marchandises ? Parmi les autres sociétés dirigées par Mgr Fellay relevons en particulier l’Association Martin des pauvres (sic), basée… dans le Zoug et inscrite au registre de commerce sous le n° CH-170.6.000.287-2, ou encore la société Hereditas, société de financement active dans les pays de la Baltique (n° de registre de commerce : CH-170.6.000.143-4).
On l’aura compris : Bernard Fellay ne perd pas le Nord en matière d’intérêts matériels et cela devient d’autant plus intéressant quand on sait que les supérieurs de district de la FSSPX qui demandent des fonds à Menzingen pour leurs œuvres ont le plus grand mal à les obtenir, ne serait-ce que sous forme de prêt. C’est que le mode de gouvernement de Mgr Fellay porte un nom bien précis : la centralisation. Le site de la Fraternité Saint-Pie X le confirme : « [La maison générale] regroupe les services de secrétariat, les archives et l’économat afin d’unir et de faciliter la gestion du personnel et des biens de la Fraternité ». On appréciera la « gestion du personnel », significative d’une mentalité qui traite de la même manière les personnes et les biens matériels. En tout cas, le site officiel de la FSSPX précise que, en vertu des statuts, le secrétaire général « a la responsabilité de la tenue des archives [et] des dossiers individuels des membres ». Avec un tel système, comment la maison générale peut-elle justifier le système des mutations de ses membres quand ceux-ci se rendent coupables d’abus ?
Un club valaisan
C’est ici que l’aspect « clanique » peut expliquer certaines dérives. Nous pensons en particulier au cas Abbet, exposé dans le présent Livre Noir. Valaisan pur jus, l’abbé Frédéric Abbet a été accusé de pédophilie dans au moins deux pays, et de multiples indices donnent à penser qu’il est protégé par Mgr Fellay, à la fois directement mais aussi indirectement : via l’abbé Raphaël Granges — lui aussi Valaisan, et secrétaire particulier de Mgr Fellay — ainsi que par l’abbé Henry Wuilloud — supérieur du district de Suisse et non seulement Valaisan mais aussi cousin de Mgr Fellay. Comme on le voit, le supérieur général a placé des Valaisans à des postes clés.
De plus, les liens du sang jouent un rôle démultiplicateur puisque, dans le monde traditionaliste autour d’Écône, on se marie entre familles « tradi » du canton. Alliances par mariages et consanguinité ont de tout temps constitué une des meilleures protections contre les retournements de situation. Mgr Fellay exporte même ce modèle à l’étranger, puisque les fidèles allemands qui fréquentent la Fraternité Saint-Pie X se plaignent que celle-ci soit « envahie » en Allemagne par des prêtres suisses — suisses et même parfois précisément valaisans. Un exemple particulièrement parlant : le supérieur du district d’Allemagne FSSPX est l’abbé Firmin Udressy, « bourgeois » de Troistorrents (Valais). Or l’Allemagne est un des pays les plus importants de la galaxie traditionaliste. Bref, si le pape possède une garde suisse, Mgr Fellay possède une garde valaisanne.
Qui dit centralisation dit responsabilités
Revenons-en à la centralisation, soulignée par la FSSPX elle-même : nous avons vu que, dans la vidéo présentée sur son site, Mgr Fellay déclare face à la caméra qu’il s’occupe des remplacements et des nominations de ses prêtres. L’abbé Christian Thouvenot, secrétaire général chargé des dossiers du personnel, insiste : « [Mgr Fellay] décide des mutations, des changements ».
Ce supérieur général qui détient seul tant de pouvoirs juridiques, financiers et humains peut-il ignorer ce qui se passe dans une école ou dans un district de sa Fraternité quand un scandale éclate, quand un abus sexuel est perpétré contre des écoliers ou des enseignantes ?
Comment peut-il justifier d’ « infliger » ensuite au coupable une simple mutation ? Que signifie la tenue des dossiers des prêtres qui est effectuée à Menzingen ? Quand on cache les cadavres dans un placard, il faut ensuite affronter les problèmes qui resurgissent des années plus tard. Les affronter ou pratiquer l’omerta, en tardant à traiter comme il se doit le cas de tel ou tel auteur d’actes délictueux ou criminels.
Mais la vérité finit toujours par sortir. C’est l’objet du présent document.
[1] http://www.moneyhouse.ch/fr/u/dello_sarto_ag_in_liquidaton_CH-170.3.033.031-9
[2] Note du CatholicaPedia : Nous avions pu nous fournir, dès le début de cette “délicate affaire”, un dossier complet de plus de 3000 pages — KrahGate —, la Rédaction de « Virgo-Maria » avait commencé à en publier quelques bribes en 2011 (cf. VM du mercredi 16 février 2011)… mais devant les persécutions engagées envers le Curé Paul Schoonbroodt (responsable du site virgo-maria.org, voir un peu plus loin dans cette page du Livre Noir) la Rédaction de « Virgo-Maria » a décidé de ne pas le publier… entre temps le Curé Paul Schoonbroodt est décédé – victime fin avril d’un mystérieux accident de la circulation près de Schweinfurt en Bavière – et « Virgo-Maria » a cessé ses publications…
[3] http://www.unternehmen24.at/Firmeninformationen/AUT/1714190
[4] http://www.moneyhouse.ch/fr/u/stpi_societe_traditon_patrimoine_immobilier_sarl_CH-550.1.031.472-9.htm
