Notre-Dame de Paris : le bois de chêne de la charpente était « médiocre »
Cave Ne Cadas
Publié le 23 avril 2019
Selon Loup Barre (Reporterre, le quotidien de l'écologie) le bois de chêne de la charpente de Notre-Dame était "médiocre"...
Notre-Dame : le bois de chêne de la charpente était « médiocre »
par Loup Barre (Reporterre) le 19 avril 2019
Il est possible de reconstruire à l’identique la charpente en chêne de Notre-Dame de Paris. Mais pas en cinq ans, à moins de changer de matériau. Les chênes d’aujourd’hui soutiennent largement la comparaison avec ceux du Moyen Âge, selon les historiens de la forêt.
Il ne reste rien de la charpente de chêne de Notre-Dame de Paris. Surnommée « la forêt » en raison du nombre de poutres utilisées, elle possédait des dimensions exceptionnelles : 100 mètres de long, 40 mètres de large dans le transept, 10 mètres de haut. Les poutres les plus anciennes, toutes taillées dans un chêne différent, ont traversé plus de huit siècles avant de s’effondrer ce lundi 15 avril sous les flammes de l’incendie. Sera-t-il possible de reconstruire la charpente à l’identique ? En combien de temps ?
L’historienne des forêts françaises Andrée Corvol, directrice de recherche au CNRS et membre de l’Académie d’agriculture, affirme que la quantité de bois nécessaire pour la charpente est de 3 à 5.000 mètres cubes. Soit environ 2.000 chênes, suivant leurs dimensions. « Cela ne représente pas grand-chose par rapport à la récolte française de bois, précise l’historienne. Toutes les cathédrales de France pourraient brûler qu’on aurait de quoi faire ! »
Jacques Hazera, expert forestier, partage ce constat :
Même si le volume nécessaire pour reconstruire la charpente de la cathédrale est important, ce n’est rien par rapport à la surface de la forêt française. »
Les chênes sont les essences les plus représentées sur le territoire métropolitain, selon l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN). « Il y a encore de nombreux chênes de 200, 300 ans dans les forêts publiques, qui font partie des ressources disponibles pour la cathédrale », précise Jacques Hazera.
Les artisans médiévaux ont du s’adapter à la médiocrité du bois de l’époque
À l’époque, le bois de la charpente de la cathédrale de Notre-Dame était arrivé par voie d’eau des forêts alentour : Marly, Saint-Germain, Rambouillet, Fontainebleau et Notre-Dame. « La forêt était alors moins dense, explique Jacques Hazera. Comme il y avait très peu de prairies, les forêts étaient des lieux de pâture pour les porcs, les bovins et surtout les moutons. On éclaircissait entre les arbres pour favoriser l’herbe à leurs pieds et pouvoir ainsi nourrir les animaux. » Une telle gestion de la forêt favorisait des arbres avec une morphologie singulière, selon Andrée Corvol :
Ils étaient de taille et de diamètre réduits, avec des branches basses et des cernes larges. Le bois était de qualité médiocre et de faible portée »
Les artisans médiévaux se sont adaptés aux faiblesses de ce type de bois. Ils ont monté une charpente serrée et complexe pour permettre une juste répartition des forces et éviter que le bois ne travaille trop. Mais la qualité des poutres reste à relativiser. Pour Andrée Corvol, « il faut se garder de projeter les exigences techniques mises en place à partir du XIXe siècle avec celles des artisans du Moyen-Âge ». Les artisans du XIIIe siècle étaient beaucoup moins attentifs aux conditions de séchage que ceux d’aujourd’hui. « Ils utilisaient les matériaux qu’ils pouvaient, aussi bien que possible, en multipliant les proportions et les ferrures pour que ça tienne », indique l’historienne.
La charpente devra être plus légère que l’ancienne pour ménager la structure fragilisée
Au lendemain de l’incendie, Emmanuel Macron a déclaré vouloir reconstruire la cathédrale en cinq ans. Un délai serré qui fait débat chez les spécialistes.
Pour Jacques Hazera, le président de la République « met la charrue avant les bœufs » : « Tout dépend du type de charpente qui sera réalisé et du type de séchage, traditionnel ou artificiel, si la charpente en bois de chêne l’emporte. » Pour Philippe Berger, syndicaliste à l’Office national des forêts (ONF), un séchage traditionnel peut prendre « plus de huit ans ».
Thomas Steuerwald, gérant d’Ingénierie bois, un bureau d’étude spécialisé dans la construction et la charpente, annonce que « la sélection des bons arbres pourrait prendre au moins un an ; le taillage et séchage prendraient ensuite plusieurs années, vue la dimension des grumes [tronc de l’arbre abattu, écimé et débarrassé des branches, NDLR] nécessaire à une construction à l’identique ». Pour aller plus vite, il suggère de faire des poutres en lamellé-collé – matériau obtenu par collage de plusieurs lamelles en bois. « Cela ne poserait pas de problème de qualité mais ne respecterait pas la méthode traditionnelle et authentique de l’ancienne charpente », admet-il.
Pour Andrée Corvol, tenir le délai de cinq ans serait intéressant pour protéger l’édifice :
Si la voûte tient, il paraît possible et souhaitable de faire la charpente en cinq ans pour protéger Notre-Dame de la pluie le plus rapidement possible. »
L’historienne plaide pour que l’aspect extérieur soit reconstitué au plus vite dans le paysage parisien avant de commencer la restauration de l’intérieur. « Vue l’urgence de la situation, inutile de viser une restauration à l’identique. D’ailleurs, au XIXe siècle, l’architecte Eugène Viollet-le-Duc n’avait pas restauré la cathédrale telle qu’elle était au XIIIe siècle mais en s’adaptant aux techniques dont on disposait à l’époque », souligne-t-elle. Concernant les matériaux, sa préférence va au bois massif ou au lamellé-collé, pour favoriser le stockage de carbone. Dans tous les cas, la charpente devra être plus légère que l’ancienne, pour ménager la structure fragilisée par les tonnes d’eau déversées et l’échauffement de la pierre.
Jeudi, 850 millions de promesses de dons avaient été récoltées pour rebâtir Notre-Dame. Raison de plus, selon l’historienne, pour accélérer le chantier, avec ou sans les Jeux olympiques de 2024 : « On a les artisans, les techniques, le bois… et pour une fois on ne va pas manquer de pognon ! »