
Méditations pour ce temps de Carême…
Chers amis lecteurs !
Chaque jour qui passe ouvre l’abime de nos faiblesses, de nos peurs, de nos manquements, de nos ténébreuses colères, de notre suffisance, de nos manques de volonté, de nos petits orgueils mal placés et de nos refus hypocrites de la pénitence et de son instrument privilégié : la mortification.
Chaque jour de ce temps de Carême nous mangeons les raisins acides de notre propre colère : colère contre nous-même, colère contre le prochain, colère contre nos ennemis que l’on rêve parfois d’exterminer de nos propres mains !
Notre-Seigneur a souffert pour nous sur la Croix mais nous ne valons pas le millième, que dis-je, le millionième de cette souffrance ! Nous râlons contre notre solitude humaine mais elle n’est rien à côté de la solitude d’un Dieu qui s’est fait homme pour nous racheter, nous sauver de l’Enfer…
Notre jugement est bien souvent obscurci par mille et une choses et c’est avec le plus grand cynisme que nous cherchons encore des excuses à notre impuissance…
Nous sommes prompts à accuser en secret ou au grand jour Dieu et Son Bien-Aimé Fils de tous nos maux et de tous nos malheurs : nous protestons dix fois par jour sans nous demander une seule fois s’il n’y aurait pas un peu de notre propre faute dans ce manque d’amour, cette inconscience de la gravité du péché, cette absence de désir à aimer ce qui est invisible à nos yeux de chair et notre incapacité à saisir dans sa globalité tous les problèmes de notre temps…
Nous mettons Dieu à notre petit niveau et, ce faisant, nous contribuons, souvent bien imprudemment, à faire progresser l’enfer sur terre ou du moins à ne pas contrarier l’avancée de son règne dans les cœurs et les âmes ! Nous sommes incorrigibles et nous comportons en enfants gâtés, très gâtés, particulièrement dans nos vieux pays d’un occident jadis chrétien.
Notre éclairage est à sens unique : nous braquons le projecteur sur nous-mêmes et sur tous nos petits soucis de créature et nous oublions qu’Un seul mérite de ne pas être dans la nuit car Il est la lumière qui éclaire le monde, ce monde qui ne L’a pas connu…
Bref, nous aimons défigurer ce Dieu qui nous a tant aimés ! Et nous trouvons normal qu’Il ait tant souffert à cause de nous, qu’il ait fait preuve d’un détachement absolu dans une liberté absolue…
Alors que fait notre Dieu ? Il répond par le silence de l’amour, par le silence de la patience infinie, par les silences de Son pardon, car il connait toutes nos faiblesses, par le silence de Sa Bonté à notre égard, n’attendant rien en retour de la plupart des créatures ingrates que nous sommes…
Mais il répond aussi par l’éclat de Sa Puissance lorsqu’il a épuisé toutes les autres voies de l’héroïsme affectueux. N’oublions jamais que notre Dieu est un dieu jaloux : que serait Son Amour sans un peu de jalousie ? Il veut des êtres libres et authentiques pour L’aimer. Mystère de Sa Transcendance, ce sont nos péchés, et plus particulièrement les fautes mortelles qui ont pu engendrer un surcroît de repentir et de pénitence, donnant ainsi un sens véritable à la Rédemption.
Souvenez-vous, chers amis, je vous rappelais il y a peu, que Notre-Seigneur n’est pas venu pour les bien-portants mais pour les malades ! C’est une évidence pour beaucoup d’entre nous, certes, mais pourquoi cette insistance à le rappeler me direz-vous ?
Il y a à cela plusieurs raisons.
Beaucoup de catholiques semper idem (ou autres !) ne commettent pas ou très peu de péchés mortels dans une année. La plupart d’entre nous pensons avoir le privilège du regard indulgent du Seigneur, notamment en cas de crise majeure de l’Église, comme c’est le cas encore en 2018.
Alors, insidieusement, l’Autre nous inspire des pensées d’orgueil à peine voilées. Car pour ceux d’entre nous qui n’avons commis que des péchés véniels, qui avons satisfait autant que faire se peut aux commandements de l’Église, (pourtant Éclipsée !), qui avons été pardonnés au tribunal de la pénitence, qui avons satisfait en partie à la peine due au péché, nous avons alors tendance à nous sentir comme supérieurs à ceux qui ont commis des fautes beaucoup plus lourdes, ce qu’on nomme des « péchés mortels ». Et nous devenons à notre tour fabricants de ténèbres sans même nous en apercevoir ! L’orgueil nous assimile à la Chute, au « Non Serviam » angélique et nous ne sommes pas loin de commettre ce péché contre l’Esprit, infiniment plus grave que le plus grave des péchés mortels… Nous nous glorifions de notre état supposé supérieur et nous oublions que dans certains cas « les filles de joie (repenties) arriveront avant nous au Royaume des Cieux » !!!
Gardons-nous de mépriser notre prochain même s’il nous paraît beaucoup plus pécheur que nous ! Croyez-vous un seul instant que Notre-Seigneur ne soit pas mort aussi pour ce pécheur si endurci qu’il nous parait comme perdu ? Sont-ce nos petites glorifications personnelles qui vont le sauver de l’enfer ou bien nos gémissements, nos prières ardentes dont la première vertu consistera à reconnaître que nous aurions pu nous aussi, sans la grâce du Seigneur, tomber aussi bas que lui, et que ce n’est pas notre suffisance de nous sentir supérieur qui attendrira le regard de Dieu sur ce pauvre pécheur…bien au contraire ? Dans le mystère de la Rédemption, le péché mortel peut être, lui aussi, une source de grâces, à deux conditions : que le pécheur reconnaisse que seule la Miséricorde de Dieu peut le sauver et que nous-mêmes ne soyons pas les substituts misérables et défaillants par essence d’une justice divine parfaite dans une réparation à la hauteur du crime de lèse-majesté commis.
Craignez qu’au jour du jugement dernier tous ceux que nous aurons méprisés ne pointent vers nous leur doigt vengeur et crient d’une voix forte en direction du Trône « C’est à cause de lui, de lui ou d’elle si je suis aujourd’hui réprouvé ! ». Tremblons à cette seule idée de tout notre être quand il en est encore temps !
En déposant Sa vie, d’une volonté libre et parfaite, Notre-Seigneur a en quelque sorte satisfait pour tous les pécheurs : car tout péché est un désordre, une offense envers la majesté suprême d’un Dieu Parfait. Et, quel que soit le degré de ce péché, qu’il soit véniel ou mortel, il demande une satisfaction parfaite. Ne nous leurrons pas : beaucoup de péchés ne seront effacés que par les souffrances du Purgatoire et aucun d’entre nous ne peut être assuré de ne pas en subir l’effrayante perspective, surtout si, dans un élan trompeur de confiance en lui-même, ce pécheur a manqué de charité, de compassion pour les pauvres pécheurs, qui sont légions, en pensant que lui, tout petit pécheur en actes (mais peut-être pas en pensées !) il va réussir à passer entre les mailles du filet divin… La souffrance d’un Dieu fait homme est encore plus admirable que la manifestation de Sa Puissance : c’est elle, cette souffrance, qui nous a ouvert les portes du Ciel et nous ne voudrions pas souffrir un peu comme Il a souffert… alors que le seul effort que nous ayons à faire c’est de réprimer notre orgueil et de ne pas nous croire meilleurs que nos frères sous prétexte que nous avons peut-être moins péché qu’eux ?
Il y a une belle leçon à retenir pour ce temps de privations. Tout ce qui touche au matériel n’est que la face visible du mystère. Or cette face visible est trop souvent corrompue, non seulement par l’orgueil de l’homme qui croit ainsi s’acquitter à bon compte par quelques rituels ou aumônes, mais par une sorte d’hypocrisie que je qualifierai d’un terme un peu audacieux de « consubstantielle » à la nature pécheresse de l’homme. Voyez l’intention du prêtre à l’autel… S’il est validement ordonné il a le pouvoir incontestable de changer le pain et le vin au Corps et au Sang de Notre Seigneur. Et pourtant…son intention reste corruptible…il peut ne pas avoir l’intention de faire ce que veut l’Église…
Il en est de même de nous pauvres pécheurs : nos actes sont gouvernés par des intentions. Attention ! pas de confusion : une bonne intention ne peut rendre bon un acte mauvais, car en fait l’intention ne peut être que mauvaise même si elle revêt aux yeux du pécheur l’illusion mortelle d’être bonne… L’adage populaire dit souvent que « l’enfer est pavé des meilleures intentions » L’on se méprendrait si l’on traduisait « meilleur » par « bonne »… En enfer tout n’est que mensonge et illusion mortelle… Là où Dieu n’est plus, la créature est dans une solitude et un désespoir absolus…
Alors méfiance : nos actes bien souvent nous jugent aux yeux des hommes mais nos pensées nous jugeront plus sûrement aux yeux de Dieu. La maîtrise de nos pensées est une ascèse douloureuse et difficile : nous devons passer du statut de victimes de nos péchés (incarnés le plus souvent dans des actes) à celui de DONATEUR : donner de nous-même, donner de notre vie, donner du sacrifice de soi, de ses amours, de sa fortune, de son bien-être pour acquérir ce supplément d’être qui s’appelle l’amour rédempteur…
Pas n’importe quel amour ! Celui du Crucifié qui a su rendre visible Ses souffrances afin qu’à notre misérable niveau nous puissions un tout petit peu les reproduire…librement et en toute connaissance de cause….Être donateur c’est être en perpétuelle état d’esprit d’OFFRANDE… L’immolation n’aurait pas lieu s’il n’y avait pas d’abord offrande… Au Saint Sacrifice de la Messe, l’Offertoire précède obligatoirement l’immolation non-sanglante codifiée dans le rituel sous l’appellation de Canon ! Vous voyez pourquoi la secte conciliaire a tout fait pour supprimer et corrompre l’Offertoire ? Parce que l’homme, dans un élan d’orgueil proprement luciférien, s’est arrogé le droit de se faire donateur à la place de Dieu et donc de Son vénérable instrument : le Prêtre ! Rien que ça devrait nous suffire à fuir avec horreur ces « célébrations synaxiales » proprement abominables…
Rendons notre Carême actif…ne soyons plus passifs comme tous ceux qui déplorent les mauvais effets sans en dénoncer suffisamment les causes… La souffrance est bonne — selon le degré que la prudence nous inspire — pourvu qu’elle produise cette activité vertueuse dont le modèle parfait est Notre-Seigneur.
Nous pécherons autant en refusant toute forme de souffrance (pourtant adaptée à notre personne) qu’en nous infligeant par orgueil ou légèreté un joug par trop excessif car pouvant être objet de scandale, de crainte ou de jalousie pour notre prochain…
La violence du Calvaire ne peut être comprise que sous l’angle de cette souffrance librement consentie et offerte. La soumission divine est l’acte complet par excellence. Il ne demande aucun secours à une nature qui d’ailleurs ne pourrait que lui en fournir que de dérisoires ersatz, infiniment indignes de la majesté divine qui reste d’une grandeur ineffable même dans les plus petites choses…
Le châtiment que nous méritons nous avons le pouvoir de le transformer en sacrifice, c’est-à-dire de passer de l’état d’exécuté, de condamné (qui attend sa peine) à celui d’acteur de sa propre soumission. Ainsi seul le sacrifice nous permet d’être véritablement des imitateurs de Jésus-Christ et d’accéder à une dignité nouvelle : participer à l’indépendance divine, celle qui au jardin de Gethsémani lui a fait refuser Sa puissance pour la mettre au service de Son Immolation volontaire.
Voilà qui est contraire à la nature et à la propension de l’homme d’utiliser les forces naturelles que Dieu lui a procurées ! Et pourtant…l’Homme-Dieu refuse d’utiliser Sa Puissance car son sacrifice est aussi une pédagogie divine que nous devons absolument retenir et méditer… Ne sommes-nous pas de plus en plus dans un monde violent, à la fois physiquement et matériellement mais aussi psychologiquement, médiatiquement, financièrement et moralement ? L’esprit du monde aime ces violences car elles sont payantes et rentables à courte échéance…sans compter qu’il n’en a pas d’autres à sa disposition car le monde est sous l’emprise de Satan qui sait que par la chair, l’orgueil de la vie et la puissance de l’argent, l’homme ne peut sauver son âme et atteindre la félicité éternelle.
Nous pourrons donc, moyennant l’influence bienheureuse de la grâce, faire de notre Carême un vrai moment de clairvoyance sur l’essence même du sacrifice et des répugnances propres à la nature.
Nous comprendrons alors que le Sacrifice est la plus haute forme de l’Amour et nous sentirons alors à quel point nos amours humains, même les plus sublimes ou légitimes, ne sont qu’un lointain et pâle reflet de cet acte sacrificiel total d’un dieu incarné.
En se faisant Homme, en s’incarnant dans un corps, Dieu a pris véritablement la mesure de notre rédemption car celle-ci s’est faite aux dépens de Son Humanité Sainte et non de Sa Divinité.
Adorons la Croix, instrument de supplice et arche de salut, mais ne l’adorons pas sans son adorable occupant : c’est le Christ et Son Sacrifice qui rendent la Croix glorieuse et non l’inverse ! On représente parfois le Calvaire avec ses trois croix mais à ma connaissance je n’ai jamais vu seules les croix des larrons sans être accompagnées de celle du divin Crucifié, Celui-là même qui exerça sa puissance en paroles lorsqu’il annonça au bon larron qu’il serait le soir même au paradis à Ses côtés.
L’homme n’est capable que d’exécutions et de violences : seul Dieu a transformé cela en Sacrifice rédempteur…en envoyant Son Fils Unique dans cette vallée de larmes…
Souvenons-nous que la Parole de Dieu produit du miracle mais que les plus grands de ces miracles sont ceux qui demeurent invisibles à nos yeux : le Sacrifice du Calvaire, la transsubstantiation, l’effusion de la grâce…
Durant ce Carême attachons-nous à l’invisible et à nos pensées intimes que nul être, (à part Dieu !) pas même les anges, ne peut décrypter, pour mieux les transformer en « passivité active » à l’instar de notre Maître en en recueillant les bons fruits dont Notre-Seigneur a dit que c’est à ce signe qu’on reconnaitrait les conséquences bonnes ou mauvaises de nos pensées, de nos actes, de nos sacrifices…
Aimons notre prochain comme Dieu nous a aimés et voyons à travers son existence une grâce de salut et redisons avec Jésus « ce n’est pas pour rien que je t’ai (que tu l’as) aimé »…
Que la douce et relative privation de nourriture pour tous ceux qui sont soumis au jeûne fasse de vous des affamés d’affection divine, chers amis lecteurs, c’est ce que je vous souhaite pour la suite de ce Carême….
Sursum corda !
Pierre Legrand.