Dans les épreuves que nous vivons, prions pour nos prêtres.
Ils sont les maîtres, les pères, les conducteurs, les pasteurs,
les médecins, les médiateurs des fidèles.
Ils sont au premier rang et ils seront jugés par Dieu particulièrement.
MÉDITATION ECCLÉSIASTIQUES TIRÉES DES ÉPITRES ET ÉVANGILES
pour tous les jours et les principales fêtes de l’année
qui se lisent à la messe tous les dimanches, pour se disposer à célébrer ou à communier dignement, connaitre les devoirs du sacerdoce et se mettre en état de faire des instructions utiles aux ecclésiastiques et au peuple.
PAR M. CHEVASSU (1)
curé du diocèse de saint-claude
1859
VINGT-QUATRIÈME SEMAINE APRÈS LA PENTECÔTE
POUR LE VENDREDI
Priez donc Dieu que votre fuite n’arrive point pendant l’hiver, ni au jour du sabbat. Car l’affliction de ce temps-là sera si grande, qu’il n’y en a point eu de pareille depuis le commencement du monde, et qu’il n’y en aura jamais. Et si ces jours n’avaient été abrégés, nul homme n’aurait été sauvé ; mais ces jours seront abrégés en faveur des élus. Alors si quelqu’un vous dit : Le Christ est ici, ou il est là, ne le croyez point.
de la conduite qu’il faut tenir dans les temps de scandale et de persécution
I. POINT. S’humilier devant Dieu
II. POINT. Prier pour l’Église.
III. POINT. S’attacher à sa doctrine.
I. Nous pouvons dire avec saint Jérôme, que l’avertissement que Jésus-Christ donne à ses disciples, regarde particulièrement ou la ruine de Jérusalem sous les empereurs Tite et Vespasien, ou cette dernière et horrible persécution que l’Église doit souffrir à la fin des temps de la part de l’Antéchrist. Mais comme les temps de l’Antéchrist ne sont pas les seuls que nous devons craindre, et que ce mystère d’iniquité se forme déjà dans le cœur des méchants, suivant ces paroles de saint Grégoire-le-Grand : « Nemo illa persecutionis extremae tempora, quasi sola perhorrescat : apud iniquos namque quotidieb res Antichristi agitur ; quia in eorum cordibus mysterium suum jam nunc occultus operatur», nous nous attacherons à quelque instruction générale ; et sans vouloir approfondir ce que les interprètes de l’Évangile ont dit de cet homme de péché qui doit faire une si cruelle guerre aux saints, nous nous contenterons de dire ici quelque chose de ce qu’il faut faire dans les temps de scandale et de persécution, pour nous porter à prier et à méditer.
Quand nous voyons arriver des troubles, des scandales et des persécutions ; que nous voyons les gens de bien affligés, l’Église dans la désolation à cause des maux qu’elle souffre, soit de la part de ses enfants, soit de la part de ses ennemis, que devons-nous faire dans ces jours de misère et d’affliction ? La première chose que nous devons pratiquer dans ces rencontres est de nous humilier devant Dieu, et de nous appliquer à apaiser sa colère. II faut reconnaitre que nous avons part aux péchés de ceux qui l’ont irrité, et nous confondre avec eux à l’exemple de tant de saints prêtres et de saints pasteurs. Voyez Daniel : ce prophète avait sans doute moins de part que les autres aux péchés qui avaient obligé Dieu de transporter les Juifs à Babylone ; cependant il se met au nombre de ceux qui l’ont offensé, il se dit coupable ainsi qu’eux. Nous avons péché, dit-il, nous avons commis l’iniquité, nous avons fait des actions impies, nous nous sommes écartés de vous, nous nous sommes éloignés de la voie de vos commandements et de vos jugements : nous ne méritons que confusion pour nos péchés, et nous, et nos rois, et nos princes et nos pères. Ainsi, ajoute-t-il, ce n’est point sur la confiance en notre justice que nous vous adressons nos prières, mais sur la multitude de vos miséricordes : « Neque enim in justificationibus nostris prosternimus preces ante faciem tuam, sed in miserationibus tuis multis » (Dan. 9. v. 3. et seq.). C’est dans ces mêmes sentiments d’humiliation que le saint prêtre Esdras disait à Dieu : « Deus meus, confundor et erubesco levare faciem meam ad te : quoniam iniquitates nostrae multiplicatae sunt super caput nostrum, et delicta nostra creverunt usque ad coelum » (I. Esdr. 9. v. 6).
Est-ce ainsi que vous vous êtes humilié devant Dieu ? Au lieu de vous confondre et de gémir en sa présence, n’êtes-vous point de ces esprits superbes qui se regardent comme les seuls sages, les seuls fidèles à Dieu ? de ces esprits présomptueux qui veulent parler lorsqu’ils devraient se taire ? de ces esprits inquiets et turbulents qui aigrissent les disputes, qui fomentent les partialités et les divisions, au lieu de les éteindre et de conserver l’unité d’un même esprit par le lien de la paix, comme l’ordonne saint Paul : Solliciti servare unitatem spiritus in vinculo pacis (Éph. 4 v. 5). Examinez-vous là-dessus.
II. Ne vous contentez pas de vous humilier et de vous anéantir devant Dieu à la vue des troubles dont l’Église est affligée ; priez instamment pour elle : car puisque dans le temps des calamites publiques les dangers sont plus grands, nos prières doivent être aussi plus ferventes. C’est pourquoi l’Évangile nous dit : Orate autem ut non fiat fuga vestra in hieme vel Sabbato. Ce que saint Jérôme explique du refroidissement de la charité et des bonnes œuvres : « Hoc praecipit, sit non refrigescat fides nostra et in Christum charitas, neque ut otiosi in opere Dei, torpeamus virtutum Sabbato». Si nous aimons l’Église, soyons vivement touchés de l’état où nos péchés l’ont réduite ; et si nous ne pouvons faire autre chose pour elle, du moins ne lui refusons point notre compassion. Nous lui devons, non seulement nos mains pour la servir, mais encore nos cœurs pour prier et gémir sur ses véritables besoins, qui deviennent tous les jours plus grands à mesure que l’iniquité abonde et que les scandales s’augmentent ; de là vient que le Prophète nous dit : « Ululate, quia prope est dies Domini : quasi vastitas a Domino veniet» (Isai. 15. v. 6). Notre grande occupation doit être de prier pour les nécessités du peuple, c’est pour cela que nous avons été ordonnés prêtres au pied des autels : « Inter vestibulum et altare plorabunt sacerdotes Ministri Domini, et dicent : Parce, Domine, parce populo » (Joel. 2. v. 17).
Voilà notre charge, voilà notre emploi ; comment nous en acquittons-nous ? Ce n’est pas pour jouir uniquement des biens de l’Église que nous sommes ses ministres ; cette qualité nous oblige de prier pour elle. Hé ! qui le fait comme il doit ? De là cette plainte que Dieu fait dans Ézéchiel, qu’il a cherché un homme qui empêchât qu’il ne se mit en colère contre son peuple, et qu’il n’en a point trouvé ; que ç’a été la cause du débordement de ses vengeances : « Quaesivi virum qui interponeret sepem, et staret oppositus contra me pro terra, no dissiparem eam ; et non inveni. Et effudi super eos indignationem meam » (Ézech. 22. v. 50, 51). Ces paroles : Quaesivi virum, et non inveni, doivent nous faire trembler tous en particulier ; car que sais-je si ce n’est point moi qui trahis la cause de l’Église en négligeant ses intérêts, et ne faisant rien pour sa gloire ? Que sais-je si ce n’est point par ma faute qu’elle a été si mal défendue ? car qui peut comprendre tous les mauvais effets de nos péchés : Delicta quis intelliqit ? Peut-être qu’on me reprochera un jour que si j’eusse travaillé à plaire à Dieu et à purifier mon cœur, afin de le prier avec assiduité et avec zèle, les calamités déplorables et les accidents funestes qui affligent l’Église ne seraient point arrivés. Que pourrai-je répondre, si l’on vient à me dire que je suis cet homme qu’on a cherché et qu’on n’a point trouvé ; et, que, par conséquent, je suis responsable de cette grande effusion de la colère de Dieu, et de sa juste indignation ? Quand Dieu cherche quelqu’un pour arrêter sa colère, c’est un signe qu’il veut pardonner ; et, par conséquent, c’est notre faute quand il ne pardonne pas : Quaesivi virum, et non inveni.
Prions donc pour l’Église dans les temps d’affliction ; ayons recours à Dieu, qui ne permettra pas que nous soyons tentés au-delà de nos forces : s’il y a à craindre que notre foi ne succombe dans une trop longue persécution, il en abrégera le temps. C’est l’explication que saint Jérôme donne à ces paroles : « Propter electos breviabuntur dies illi. Abbreviati dies intelligantur », dit ce Père, « ne temporum mora fides concutiatur credentium ».
III. Un troisième moyen que nous fournit l’Évangile pour ne pas succomber dans les temps de trouble et de scandale, c’est de nous défier des faux prophètes : Surgent enim pseudochristi et pseudoprophetae. Pour nous précautionner sûrement contre ces enfants de perdition, n’ayons jamais de curiosité pour tout ce qui s’appelle nouveauté. « Si l’on vous dit : Le Christ est ici, ou il est là : ne le croyez point. Le voici dans le désert, le voici dans le lieu le plus reculé : ne sortez point pour y aller ». Voilà l’avertissement que nous donne l’Évangile. Pour le suivre, nous devons nous attacher à ces deux principes : le premier est que la foi de l’Église, hors de laquelle il n’y a point de salut est invariable ; que ce qu’on a cru du temps des apôtres, on le croit aujourd’hui ; que ce qu’on croit aujourd’hui, on le croira jusqu’à la fin du monde ; car Jésus-Christ demeurera avec son Épouse jusqu’à la consommation des siècles. Ainsi toute doctrine nouvelle doit être rejetée ; et il suffit, pour la condamner, qu’elle soit véritablement nouvelle. Ô Timothée, dit saint Paul à son disciple, gardez le dépôt qui vous a été confié, fuyant les profanes nouveautés de paroles, et toute doctrine contraire, qui porte faussement, le nom de science. « O Timothee, depositum custodi, devitans profanas vocum novitates, et oppositiones falsi nominis scientiae » (Tim. 6. v. 20). Croire et se sauver, c’est tout ce qu’un chrétien doit savoir et pratiquer, disait autrefois Tertullien aux hérétiques de son temps : « Cedat curiositas fidei ; cedat gloria saluti. Nihil ultra scire, omnia scire est » (Lib. de Praef. adversas haereses, cap. 14).
Le second fondement sur lequel nous devons nous appuyer, c’est que l’Église dans laquelle nous sommes est universelle ; d’où il s’en suit que le Christ n’est ni dans cette secte, ni dans celle-là. Soyons en garde contre tout dogme particulier ; tenons-nous fortement à l’Église catholique apostolique et romaine, dont la foi est aussi ancienne qu’elle-même, et aussi étendue que le monde : « Nolite credere quod Filius Dei in deserto gentium sit, nut in penetralibus haereticorum ; sed quod ab Oriente usque in Occidentem fides ejus in catholicis Ecclesiis fulgeat », dit saint Jérôme. (Loc. cit.)
Voilà les moyens que nous devons prendre pour nous garantir de chute dans les temps de persécutions et de scandale ; embrassons-les de tout notre cœur, et, pour la communion ou la messe, prions Jésus-Christ qu’il nous fasse la grâce de les mettre en pratique : « Custodi me, Domino, a laqueo quem, statuerunt mihi, et a scandalis operantium iniquitatem » (Ps 140. v. 9).
VINGT-QUATRIÈME SEMAINE APRÈS LA PENTECÔTE
POUR LE SAMEDI
Alors le signe du Fils de l’homme paraîtra dans le ciel, et tous les peuples de la terre seront dans les pleurs et les gémissements ; et ils verront le Fils de l’homme qui viendra sur les nuées du ciel avec une grande puissance et une grande majesté. Matth. c. 24. v. 30.
du jugement de Dieu

I. POINT. Les ecclésiastiques ont sujet de le craindre plus que personne, à cause de l’excellence de leur état.
II. POINT. À cause des grâces singulières qu’ils ont reçues.
III. POINT. À cause des grandes obligations qu’ils ont contractées.
I. Finissons ces méditations comme nous les avons commencées ; et, nous conformant à l’esprit de l’Église, faisons aujourd’hui quelques réflexions sur le jugement de Dieu, qui doit occuper sans cesse l’esprit d’un bon chrétien, mais particulièrement celui des ecclésiastiques. Qui a plus sujet qu’eux de craindre la rigueur de ce jugement ? C’est un oracle du Saint-Esprit, que plus on aura été élevé dans ce monde, plus on sera traité avec rigueur dans l’autre, si l’on vient à manquer de fidélité à ses devoirs : Judicium durissimum his qui praesunt fiat (Sap. 6. v. 6). Ainsi, il ne faut pas douter que les ministres de l’Église étant élevés par l’éminence de leur rang au-dessus de toutes les grandeurs de la terre, ils ne soient jugés avec plus de rigueur que le commun des fidèles. Oui, le sacerdoce est un rang aussi terrible qu’éminent : Terribilis est locus iste, disait autrefois saint Bernard à un pasteur (Ep. 58). La chute d’un lieu si élevé ne peut dire être que funeste ; si au lieu d’être la lumière et le modèle des autres, nous leur servons de pierre d’achoppement par la bassesse de nos actions et par l’indignité de notre vie, craignons ces paroles de saint Pierre : Tempus est ut incipiat judicium a dome Dei (I Petr. 4. v. 42). Le jugement commencera par la maison de Dieu, c’est-à-dire par les prélats, par les pasteurs et par les autres ministres des saints autels, auxquels le Seigneur fera rendre un compte très exact de la manière dont ils auront conduit son troupeau.
Écoutez donc, prêtres et ministres du Dieu vivant ; ne vous flattez pas de tant de qualités augustes et glorieuses dont le Fils de Dieu vous a revêtus, et par lesquelles il vous a distingués du reste des hommes d’une façon particulière. Il est vrai que l’éminence du sacerdoce où le Fils de Dieu vous a élevés, est le plus haut degré où vous puissiez aspirer : Eorum omnium quae inter homines exoptantur velut extrema meta, dit saint Isidore de Damiette (De Sens. l. 2. Ep . 71). Mais que devez-vous craindre ? quel sera votre partage lorsque Jésus-Christ viendra pour vous juger, si la sainteté de votre vie n’a point répondu à l’excellence de votre état ? Cette considération a fait trembler les prêtres et les pasteurs les plus sages et les plus zélés. Saint Paul lui-même n’a pas été exempt de cette crainte ; car considérant la grandeur de son ministère, il proteste que quoiqu’il ne se sente en rien coupable, et que sa conscience ne lui fasse aucun reproche, ne se croit pas pour cela justifié : après avoir gagné presque un monde entier à son Maitre, il craint d’être lui-même reprouvé : No cum aliis praedicaverim, ipse reprobus efficiar (I Cor. 9. v. 27). Quelle raison avait ce grand apôtre de craindre ainsi ? La voici : c’est, dit-il, que le Seigneur lui-même doit me juger : Qui autem judicat me, Dominus est. Ah ! si les colonnes de l’Église ont tremblé, quelle doit être notre frayeur, nous qui ne sommes que de misérables pécheurs, et qui prétendons allier une vie toute criminelle avec une profession toute divine ; ce que les saints ont regardé comme une chose monstrueuse ! « Monstruosa res, gradus summus, et animus infimus ; dignitas prima, et vita ima ; deifica professio, et illicita actio » (Bern. lib. 2. de Consid. c. 7). Hélas ! pour combien de gens est-il mieux valu, au jour terrible du jugement, qu’ils n’eussent jamais été ecclésiastiques, prêtres, curés, bénéficiers, prélats dans l’Église ! Ils se seraient sauvés dans l’humble état de simples fidèles, dont Dieu n’attend pas une si grande perfection ; au lieu qu’ils se sont perdus dans le clergé, pour n’avoir pas vécu d’une manière digne de la grandeur et de la sainteté de leur état : « Esset sine dubio melius salvari in humili gradu fidelis populi » : disait le dévot saint Bernard, « quam in Clerici sublimitate et deterius vivere, et districtius judicari » (De Conv. ad Cler.). Nous avons donc bien sujet de craindre les jugements de Dieu à cause de l’éminence de notre état.
II. Nous n’avons pas moins sujet de le craindre à cause des grâces singulières que nous avons reçues de Dieu, dont il faudra lui rendre compte. C’est un principe de l’Écriture, et établi par Jésus-Christ lui-même, « qu’on redemandera beaucoup à celui à qui on aura beaucoup donné ; et que l’on fera rendre un plus grand compte à celui à qui on aura confié plus de choses » (Luc. 12. v. 48). Or, combien de grâces Dieu n’a-t-il pas faites à ses ministres ! C’est sur eux qu’il a versé ses dons les plus précieux avec abondance : il leur a donné tout ce qu’il avait de plus cher ; il leur a confié ses mystères ; il leur a commis la dispensation de ses grâces ; il les a rendus dépositaires de sa parole ; il les a honorés de la conduite de son Église et de la garde de son troupeau ; il leur a donné pouvoir de pardonner les péchés ; enfin, il leur a confié la dispensation de son corps et de son sang, de ses mérites et de toutes ses richesses spirituelles. Ne sont-ce pas là de grands et d’insignes bienfaits ? Mais sachez, ministres du Dieu vivant, dit saint Grégoire, que ce discernement si particulier qu’il a fait de vous dans la distribution de ses grâces, est pour vous un nouveau sujet de crainte ; puisque plus vous avez reçu de dons de la bonté de Dieu, plus vous serez redevables à sa justice si vous en abusez : « Cum enim augentur dona, rationes etiam crescunt, donorum» (Gr. M. Hom. 9. in Évang.). Ceux qui ont moins reçu que vous, ont moins sujet de craindre. Mais ayant été favorisés de tant de grâces, dont vous avez peut-être si mal profité, craignez que vous ne vous trouviez sans réponse, lorsque le souverain Juge viendra vous demander l’usage que vous en avez fait, et le fruit que vous en avez rapporté : « Tanto humilior quisque debet esse ex munere », dit ce grand pape, « quanto se obligatiorem esse conspicit in reddenda ratione». Dieu pèsera pour lors, mais au poids de son sanctuaire, tous les exercices que nous avons faits de nos fonctions. Comment avez-vous récité le bréviaire ? Comment avez-vous dit la messe ? Comment avez-vous reçu et administré les sacrements ? Quel usage avez-vous fait de la puissance que je vous avais donnée de remettre ou retenir les péchés ? Ah ! quel danger n’y a-t-il pas que, répondant si mal aux desseins de la miséricorde de Dieu sur nous, il ne nous dise ce qui fut dit à Balthasar : « Appensus es in statera, et inventus es mimis hahens » (Dan. 5. v. 27). Je vous trouve trop léger, et vous n’êtes point du poids qu’il faudrait dans la balance de ma justice. À combien d’ecclésiastiques Dieu fera-t-il ces sanglants reproches, que, malgré tant de faveurs qu’il leur a faites, en les appelant au christianisme par préférence à tant de peuples infidèles ; en les mettant dans le clergé où ils ont eu de si excellents et de si fréquents moyens de se faire saints ; en les faisant élever dans un séminaire où ils ont été si bien instruits de l’esprit avec lequel il faut entrer dans les bénéfices et dans les ordres, et en exercer les fonctions ; et malgré tant de moyens de salut, ils n’ont point mené une vie conforme à tant de belles connaissances ; ils ne lui ont point témoigné une reconnaissance proportionnée à tant de grâces ; ils ne l’ont point servi avec l’esprit et l’exactitude qu’il attendait ; ils ne lui ont point rapporté le fruit et l’usage de tant de riches talents qu’il leur avait confiés : Inventus es mimis habens. Ne sont-ce pas là de justes sujets de trembler, par la seule pensée qu’il faudra essuyer une épreuve si rigoureuse ? Venons maintenant aux obligations de notre état, qui doivent beaucoup augmenter notre crainte.
III. Les obligations des ecclésiastiques sont d’une étendue prodigieuse. Ils sont les maîtres, les pères, les conducteurs, les pasteurs, les médecins, les médiateurs des fidèles. Toutes ces qualités leur imposent autant de devoirs ; comme maîtres et conducteurs ils doivent être non seulement savants et instruits dans la loi de Dieu, mais encore instruire ceux qui leur sont soumis, et les conduire dans le chemin assuré du salut ; comme médecins des âmes, ils doivent appliquer à leurs plaies les remèdes propres pour les guérir ; comme pasteurs, ils doivent veiller sur le troupeau de Jésus-Christ, ramener la brebis égarée, avertir et corriger les pécheurs ; comme médiateurs, ils doivent offrir à Dieu des sacrifices et des prières continuelles pour le saint du peuple.
Examinons maintenant la conduite de la plupart des ministres de l’Église. Qui sont ceux qui pensent sérieusement à s’acquitter de tous ces devoirs ? Qui sont ceux qui les remplissent parfaitement et dans toute leur étendue ? Ou trouverons-nous des prêtres qui travaillent avec une application continuelle à se sanctifier et à procurer le salut des autres ? Saint Bernard avait donc raison de dire aux prélats assemblés dans un concile tenu à Reims : Hélas ! si les fidèles auront tant de peine à rendre compte à Dieu de ce qu’ils auront fait en leur propre corps, c’est-à-dire de leurs actions propres et personnelles, quel sera l’embarras des ministres de Jésus-Christ, quand il leur demandera compte de ce qu’ils auront fait en son corps mystique qui est son Église ! « Si reddenda est ratio de his quae quisque gessit in corpore suo : heu ! quid fiet de his quae quisque gessit in corpore Christi, quod est Ecclesia ? » (Bern. Serm. ad. Cler. in cone. R. Congr.).
Que l’on considère bien, dit un autre Saint, les obligations de notre état ; et l’on verra bientôt le danger où sont non seulement les pasteurs, mais encore les prêtres et les autres ministres de l’Église : « Si diligenter attenditis, Fratres charissimi, omnes Sacerdotes Domini, non solum Episcopos, sed etiam Presbyteros et Ministros Ecclesiarum in grandi periculo esse cognoscetis. Ipsis enim contestatur Spiritus Sanctus dicens : Clama, ne cesses ; quasi tuba exalta vocem a tuam, et annuntia populo meo scelera eorum, et domni Jacob peccata eorum » (Isai. 58. v. 4). Et iterum : Si non annuntiaveris iniquo iniquitatem suam, sanguinem ejus de manu ma requiram (Ézech. 5. v. 48). De ipsis etiam Apostolus dicit : Obedite praepositis vestris, et subjacete eis ; ipsi enim pervigilant, tanquam rationem reddituri de animabus vestris (Neb. 15. v. 17). Si pro se, Fratres charissimi, unusquisque vix poterit in die judicii rationem reddere, quid de Sacerdotibus futurum est, a quibus sunt omnium animae requirendae ? Et ideo considerantes periculum nostrum, orate pro nobis, ut commissis nobis gregibus ita spiritualia pascua studeamus jugiter providere, ut pro eis rationem bonam a reddere mereamur (S. Aug. ex Hm. 7. 50. nunc in append. Serm. 287).
Le monde nous canonise, parce que l’on croit que nous faisons beaucoup. Ce prêtre, dit-on, chante ou récite tous les jours l’office divin ; il dit tous les jours la messe ; il prêche, il confesse, c’est un saint homme. Mais si nous avons manqué à quelques-uns de nos devoirs, si nous n’avons pas accompli tout ce que Dieu demandait de nous, s’il trouve du vide dans l’exercice de nos fonctions ; qu’il est à craindre qu’on ne nous dise comme à cet évêque de l’Apocalypse : Nomen habes quod vivus, et mortuus es (Apoc. 5. V. 1).
Considérez un peu l’exemple des vierges folles, que vous lisez si souvent dans l’Évangile. L’époux qui ne veut point les admettre aux noces, ne leur reproche aucun vice : elles avaient leurs lampes allumées comme les sages ; elles avaient la vraie foi, signifiée par ces lampes ; elles n’étaient pas absolument destituées de bonnes œuvres ; car elles avaient toutes un peu d’huile, qui est la figure des bonnes œuvres, comme remarque saint Chrysostome : elles sont pourtant rejetées. Pourquoi cela ? C’est, dit ce Père, qu’elles n’en avaient pas avec l’abondance que Dieu demandait d’elles. Habebant quidem oleum, sed non copiosum ; ideoque torquentur (Chrys. Hom. in Matth). O Dieu ! que vos jugements sont terribles ! Ah ! prélature ! ah ! sacerdoce ! ah ! ministère ecclésiastique ! quelle frayeur ne devez-vous pas nous inspirer, puisque l’omission de quelques-uns de nos devoirs nous met en si grand danger d’être condamnés ! Ah ! Si les justes, non les faux justes et ceux qui se sont crus tels ne l’étant pas, mais ceux qui l’ont été en effet, seront à peine sauvés, que deviendront en ce jour terrible les pécheurs et les coupables ? Et si justus viae salvabitur ; impius et peccator ubi parebunt ? (I Petr. 4. v. 18).
Formez une résolution sincère de vous juger vous-même en cette vie, mais sans vous épargner et sans vous flatter. Pour préparation à la messe, examinez vos voies avec grand soin ; afin que, lorsque le souverain Juge viendra pour entrer en compte avec vous, il ne trouve rien qui n’ait été examiné, et qu’ainsi vous n’ayez plus sujet de craindre de rendre un compte que vous aurez vous-même discuté par avance : Volo vultui irae Dei, disait dans cette vue saint Bernard, prasentari judicatus, non judicandus (Bern. Serm. 55. in Cant.). Dites-vous intérieurement : Que pourras-tu répondre à ton Juge, quand il t’interrogera touchant l’entrée que tu as faite dans l’état ecclésiastique ou dans cette cure, touchant l’exercice de tes fonctions, touchant l’emploi de tes revenus, touchant l’usage de tant de grâces particulières qu’il t’a faites ? « Super custodiam meam stabo : et contemplabor, ut videam quid dicatur mihi ; et quid respondeam ad arguentem me ? » (Habac. 2. v. 1). Si vous prenez ces précautions ; vous n’aurez pas sujet de craindre le second avènement du Fils de Dieu ; mais, au contraire, vous l’attendrez avec confiance, vous le souhaiterez avec ardeur, vous le verrez avec joie : Bonam causam habeamus, ut futurum judicium non timeamus (August. Serm. 265. n. 2).
[1] Monsieur l’abbé Joseph Chevassu (1674-1752), Curé de la paroisse des Rousses du diocèse de Saint-Claude dans le Jura pendant 42 ans, publia un Catéchisme paroissial avec des sujets de méditation tirées des Épîtres et Évangiles qui se lisent à la Sainte Messe tous les jours et les principales Fêtes de l’année.
Étiquetéabbé Joseph Chevassu, Antéchrist, apaiser sa colère, calamités, défier les faux prophètes, doctrine contraire, ecclésiastiques, Ézéchiel, grâces singulières, grandes obligations, iniquité, jugement de Dieu, l’Église dans la désolation, méditations, ministres du Dieu vivant, persécutions, peuples infidèles, prêtres, Prier pour l’Église, prions pour nos prêtres, rigueur, sacerdoce, Saint Grégoire le Grand, saint Jérôme, saint Paul, saint prêtre Esdras, scandales, s’attacher à sa doctrine, s’humilier devant Dieu, temps de persécution, temps de scandale, Timothée, troublés, VIngt-Quatrième Semaine après la Pentecôte