lecture dominicale…

 

 

Nous avons tous reçu la vertu de foi au baptême, et cette vertu a grandi en nous avec les années. Pourtant nous n’avons pas vu l’esprit de foi. Cela veut dire que dans les détails de la vie nous ne sommes pas conduits par les grandes vérités de la foi qui devraient toujours briller devant les yeux de notre âme.
 

Qu’est-ce que l’esprit de foi ?

 

Par l’esprit de foi nous entendons une foi vivante, forte, pratique, une foi qui influence toute notre vie, qui nous fait vivre dans la présence de Dieu et dans la conscience pratique des merveilleuses réalités de la vie spirituelle : la grâce, l’habitation de Dieu en nous, notre union avec le Christ et son corps mystique, le ciel, la communion des saints, et autres faveurs divines.

 

Nous comprendrons mieux cet esprit de foi en nous arrêtant brièvement pour considérer son grand ennemi, l’esprit naturel. Notre moi, notre esprit naturel, est imprégné de matérialisme, est enclin au pélagianisme qui nous fait ignorer ou sous-estimer l’influence et la nécessité de la grâce. Cela nous donne une vue déformée ; cela exagère les avantages, les joies, l’importance de ces choses matérielles et tangibles dont nous jouissons maintenant, alors que les choses spirituelles qui ne sont ni visibles, ni tangibles, ni essentielles pour l’avenir, semblent très nébuleuses et vagues, dans un horizon lointain enveloppé de brouillard. Notre perspective est entièrement faussée.

 

Nous pourrions comparer cet esprit à un microscope sous lequel des objets extrêmement petits se voient et paraissent énormes. Mais les objets réellement gros ne peuvent se voir sous ce microscope parce qu’ils sont hors de sa portée. De la même manière l’esprit naturel agrandit les choses insignifiantes de cette vie, mais ne nous fait pas voir les choses qui importent réellement.

 

L’esprit de foi remet la vérité à sa place légitime. Il nous montre les choses comme elles sont, dans leur vraie lumière et perspective, en vérité telles que Dieu les voit et les apprécie. Il fait que les réalités spirituelles, choses qui importent pour notre âme, paraissent ce qui est réellement important, alors que les choses visibles et transitoires paraissent insignifiantes, comme elles le sont en fait, et bonnes seulement comme moyens d’une fin. Elles ne sont bonnes que pour autant que nous pouvons nous en servir pour atteindre le ciel. Elles n’ont point de valeur en elles-mêmes et à leur égard nous pouvons dire avec saint Paul : — J’ai souffert la perte de toutes choses et je les compte pour du fumier, afin de gagner le Christ. —

 

Effets de l’esprit de foi.

 

Nous venons de dire que l’esprit de foi nous montre les choses telles que Dieu lui-même les voit et les estime. Cela veut dire que l’esprit de foi nous fait comprendre de plus en plus pleinement les grandes vérités de la vie spirituelle, nous les fait toucher, nous en imprègne si bien que, lorsque nous en avons besoin, nous nous en souvenons naturellement et vivons selon elles. Ces vérités, qui autrement resteraient théoriques, stériles et sans aucun effet sur notre conduite, deviennent ainsi réelles pour nous et influencent toute notre vie.

 

Une comparaison nous aidera à mieux saisir ceci. Le monde où nous vivons nous paraît sombre la nuit, terne, sans couleur, nous pouvons à peine déterminer ce qui nous entoure, nous sommes comme dans un monde d’ombres. Mais le soleil se lève au-dessus de l’horizon, et tout est transformé : ses rayons touchent les choses avec une baguette magique ; le monde apparaît dans sa beauté, dans ses couleurs innombrables. Le paysage qui durant les heures d’obscurité ne faisait sur nous aucune impression maintenant nous attire et nous réjouit par son charme.

 

La même chose arrive dans la vie spirituelle. Si la lumière de notre foi est faible, les merveilleuses réalités de la vie spirituelle ne nous impressionnent pas. Les choses spirituelles paraissent sans couleur, ternes, peu attrayantes ; elles ne nous émeuvent pas, elles nous réjouissent encore moins. Mais quand l’esprit de foi, comme le soleil, a illuminé notre âme, tout paraît changé. Les choses spirituelles nous attirent et nous captivent, elles enflamment dans notre cœur le feu de l’amour divin.

 

Quelques exemples peuvent illustrer ceci. La foi nous dit que Dieu est la cause première et réelle de tout ce qui arrive dans ce monde, de tout ce qui arrive dans notre vie dont les moindres détails sont tissés, voulus ou permis par son aimante sagesse. Cependant beaucoup de chrétiens, influencés beaucoup plus par l’esprit naturel que par l’esprit de foi, sont déconcertés même par les plus petites épreuves. Ils voient seulement les causes secondaires, et ne pensent même pas à Dieu qui dispose toutes choses avec un amour infini. Mais si notre foi est forte, la grande vérité que Dieu est la cause première de toutes choses éclairera notre vie. Même au milieu de l’aridité et de la désolation, derrière le voile des causes secondaires, nous apercevrons la volonté très aimante de Dieu, qui en toutes choses poursuit notre bien. Quelque difficulté ou souffrance qui puisse nous visiter, nous ne perdrons pas notre bonne humeur ni notre paix de l’âme.

 

On peut dire la même chose d’une autre grande vérité exprimée dans ces paroles fameuses du grand Apôtre : — Pour ceux qui aiment Dieu toutes choses ensemble travaillent au bien. — Toutes choses, saint Paul n’exclut rien, pas même ces choses qui, à première vue, semblent devoir faire mal à notre âme ; nos défauts, notre manque de succès dans notre apostolat, nos échecs, nos péchés. Toutes choses aux mains de Dieu peuvent contribuer à notre bien, à notre progrès dans la vie spirituelle. Si à la lumière d’une foi profonde nous comprenons pleinement cette précieuse et bienfaisante vérité, nous garderons notre courage et notre confiance en Dieu, quelles que soient les épreuves et les tribulations que l’aimante sagesse de Dieu puisse envoyer pour nous sanctifier.

 

Le complément de cette vérité, c’est que les voies de Dieu ne sont pas toujours nos voies. Comme le ciel est au-dessus de la terre, ainsi la Providence de Dieu est au-dessus de notre perception humaine. Si notre foi est assez vive, nous nous rappellerons souvent ces paroles avec grand profit. Nous les appliquerons, non seulement à notre vie, mais à notre façon de voir les événements du monde. Oui, les voies de Dieu ne sont pas nos voies, et par conséquent elles sont souvent mystérieuses.

 

Surtout de nos jours, un grand esprit de foi est requis pour que nous ne soyons pas troublés par les terribles événements qui causent tant d’anxiété chez les hommes. Ces persécutions et souffrances que Nôtre-Seigneur prédisait à ses disciples n’ont peut-être jamais été plus terribles que maintenant. Mais la foi nous rappelle que les voies de Dieu ne sont pas nos voies ; elle nous rassure en nous remettant en mémoire les paroles de Jésus : — Les portes de l’enfer ne prévaudront point. En fin de compte Satan ne sera pas vainqueur.

 

En vérité les voies de Dieu sont mystérieuses pour nous ici sur la terre, mais nous savons et ne devrions jamais oublier qu’au Ciel les anges et les saints sont remplis d’admiration parce qu’ils voient l’accomplissement du plan merveilleux de Dieu. Pour eux l’histoire du monde apparaît comme une magnifique symphonie, et toute leur éternité, ainsi que la nôtre, se passera à admirer, à louer amoureusement les perfections de Dieu, sa sagesse, sa justice, son amour, sa miséricorde infinie.

 

Il nous faut penser à la Paternité de Dieu. Il est aussi notre Père. Chaque jour nous le prions sous ce titre : pourtant combien de chrétiens comprennent ce que cela signifie en réalité ? Dieu est notre Père, un Père incomparable qui nous donne la vie continuellement de la naissance à la mort. L’amour des pères et mères, les plus aimants et les plus tendres n’est qu’une goutte de l’océan de l’amour infini de Dieu. Le Dieu qui a fait le soleil, la lune, les étoiles, tout cet univers, est réellement, pleinement mon Père très aimant, je suis un fils du grand Roi des rois. Si notre foi nous imprègne de cette grande vérité, n’agirons-nous pas d’autant plus en enfants aimants de Dieu, remplis de confiance en lui ? N’éprouverons-nous pas de mépris pour les mesquines choses de ce monde et ne dirons-nous pas comme les saints : — Je suis fait pour des choses plus grandes ? —

 

Enfin, nous pouvons considérer Dieu dans son infinie beauté, son infinie amabilité. Combien rarement nous pensons à cette beauté de Dieu ! Elle est si grande que nous ne pourrions la voir ici sur terre sans mourir d’amour. Notre âme serait si énamourée qu’elle briserait les liens de notre corps mortel pour se jeter sur le sein de l’amabilité infinie.

 

Beaucoup de saints ont eu un faible aperçu de cette divine beauté, de cette divine amabilité, et elle suffisait à les faire tomber en extase. À la vue d’un pâle rayon des perfections divines tout l’univers semblait s’évanouir devant eux. Si ma foi était plus vive, ne me souviendrais-je pas souvent de ceci pour allumer en mon cœur le feu de l’amour divin ?

 

Importance de l’esprit de foi.

 

D’après ce que nous venons de voir, il est clair que l’esprit de foi est absolument nécessaire à notre vie spirituelle. Il est comme l’air à notre vie physique. Sans lui nous ne pouvons vivre. Si l’air que nous respirons est mauvais ou raréfié, nous dépérissons. De même, sans l’esprit de foi, la vie de notre âme ne peut être que faible et languissante. Nous sommes comme des tuberculeux dans la vie spirituelle.

 

L’esprit de foi nous donne la pleine joie de la vie, fait vrai pour tous les chrétiens, mais spécialement pour les prêtres et religieux. Si leur foi est défectueuse, ils ne peuvent être heureux ; ils sont comme poissons hors de l’eau. Toutes les sublimes réalités à la base de leur vie, — la vie vécue au nom du Christ, — ont peu de sens pour eux.

 

Les prêtres et religieux qui sont animés de l’esprit de foi sont inévitablement heureux. Ils ont constamment conscience qu’ils vivent pour le Christ, qu’ils continuent pour ainsi dire la vie du Christ. Comme Jésus et pour Jésus ils sauvent des âmes, beaucoup d’âmes, même s’ils ont peu de succès apparent. Comment alors ne seraient-ils pas heureux ? Ils savent que sauver même une seule âme, c’est une grande chose, qui mérite bien leur vie, et ils sont certains de sauver beaucoup d’âmes. Même au milieu des difficultés et des sacrifices impliqués dans leur apostolat ils peuvent dire avec saint Paul : — « Les souffrances de ce temps ne sont pas dignes d’être comparées avec la gloire à venir. » (Rom., 8, 18).

 

En outre, l’esprit de foi leur fait vivre une vie de grande intimité, d’union étroite avec le Christ. À cause de cela, le Christ n’est pas pour eux, comme il l’est pour trop de chrétiens, une idée abstraite sans émoi pour le cœur. Par la foi, le Christ, qui est invisible à nos yeux humains, nous devient plus visible et plus présent. La foi nous révèle ses merveilleuses perfections, le fait apparaître aux yeux de notre âme comme digne de tout notre amour. Comment alors ne serions-nous pas heureux ?

 

Mon esprit de foi.

 

Est-ce que je vis habituellement par l’esprit de foi, ou bien suis-je dominé par mes impressions naturelles, sentiments et impulsions, par ma raison naturelle et ses calculs ? Est-ce que j’accepte tous les événements à la lumière de la foi, me rappelant souvent que Dieu est la cause première de toutes choses, que chaque chose est voulue ou permise par lui pour mon bien ?

 

Est-ce que je vis réellement comme un enfant de Dieu, seigneur de l’univers ? Est-ce que j’ai pleine conscience de ma grande dignité ? Est-ce que je suis plein de confiance en mon Père céleste ?

 

Puis-je dire qu’en dépit de tous mes défauts j’ai l’âme spirituelle, que j’ai le goût des choses élevées et intérieures ?

 

Est-ce que j’emploie les moyens naturels et nécessaires pour augmenter mon esprit de foi ?

 

Ma méditation quotidienne est sûrement un des meilleurs moyens à ma disposition. Il me faut aussi supplier souvent le Saint-Esprit d’accroître en moi ses dons précieux, — ses dons de sagesse, d’intelligence, de savoir, de piété, qui plus que toute autre chose achèvent la vertu de foi et ont aidé les saints à accomplir ces actes héroïques que nous admirons tant dans leur vie.

 

 

 


 

Extrait de : LA VERTU D’AMOUR. Méditations de Paul de Jaegher. s.j. (1957)

Traduit de l’anglais par PIERRE MESSIAEN.